Réforme pénitentiaire : « L’interdiction des peines inférieures à un mois de prison aura un effet marginal sur la population carcérale »
Réforme pénitentiaire : « L’interdiction des peines inférieures à un mois de prison aura un effet marginal sur la population carcérale »
Emmanuel Macron a fait une série d’annonces, mardi 6 mars, sur la politique carcérale du gouvernement. Jean-Baptiste Jacquin, journaliste au « Monde » et spécialiste des questions judiciaires a répondu aux questions des internautes.
Le chef de l’Etat a présenté mardi 6 mars sa vision de la sanction pénale et plaidé pour une justice qui prononce moins de peines d’emprisonnement, mais des peines mieux exécutées. Objectif : lutter contre la surpopulation carcérale et de redonner du sens à la peine. Au cours d’un tchat, le journaliste spécialiste des questions judiciaires au Monde, Jean-Baptiste Jacquin, a répondu aux questions des internautes.
T : Le président Macron annonce que les peines inférieures à six mois pourront être exécutées hors prison. Mais c’est déjà le cas pour des peines inférieures à deux ans qui imposent aux juges des mesures d’aménagement…
Son idée est même que les peines inférieures à six mois « devront », plutôt que « pourront », être exécutées hors prison (bracelet électronique, travail d’intérêt général, placement extérieur, etc.). Aujourd’hui, le code pénal n’impose pas aux juges d’aménager les peines inférieures à deux ans de prison, contrairement à ce que beaucoup veulent faire croire. L’aménagement de la peine est une possibilité sur laquelle doit statuer un juge spécialisé, le juge d’application des peines. L’idée de M. Macron est que cet aménagement soit décidé, pour les peines comprises entre six mois et un an, par le juge correctionnel qui prononce la condamnation et non remise à plus tard et à un autre juge.
Catherine : Combien de personnes sont potentiellement concernées par cette évolution ? Allons-nous enfin avoir 100 % d’occupation des prisons ?
L’interdiction de prononcer des peines inférieures à un mois de prison aura un effet marginal sur la population carcérale. Environ 10 000 peines de moins d’un mois sont prononcées chaque année, mais la plupart sont déjà converties en peines alternatives. Les prisons comptent actuellement un peu moins de 300 personnes purgeant une peine de moins d’un mois. Les délits routiers ou de consommation de cannabis y sont surreprésentés. Pour le chef de l’Etat, faire perdre leur emploi à ces personnes en les jetant en prison pour quelques semaines ne protège pas mieux la société.
Plus globalement, il est très difficile de mesurer l’impact de cette volonté politique sur l’évolution de la population carcérale. Ce sont les juges qui décident des peines. Si en principe il n’y aura plus de peines inférieures à six mois exécutées en détention, la suppression de la possibilité d’aménager les peines supérieures à un an aura un effet contraire. Dernier impact non mesurable : dans quelles proportions les juges prononceront les autres peines proposées de façon autonome comme le bracelet électronique et le travail d’intérêt général ?
DB : Emmanuel Macron compte-t-il supprimer la loi Taubira qui aménageait les peines inférieures à deux ans ?
C’est amusant de voir comment le pays s’est convaincu que Christiane Taubira était laxiste… Cette loi qui permet au juge d’application des peines d’aménager une condamnation inférieure à deux années d’emprisonnement ferme est une loi Rachida Dati de 2009. Auparavant, cela avait été instauré pour les peines jusqu’à un an de prison par une loi de 2004, quand Dominique Perben était à la justice et Nicolas Sarkozy à l’intérieur. Emmanuel Macron souhaite limiter les possibilités d’aménagement pour les peines inférieures à un an.
François 32 : L’un des objectifs de ce projet de réforme est de faire en sorte qu’une peine de prison soit mise à exécution immédiatement après qu’elle a été prononcée. Pensez-vous que cet objectif est réalisable à court terme compte tenu du taux de remplissage des prisons et des délais dans l’institution judiciaire ?
La mise en œuvre immédiate et automatique de toutes les peines de prison ferme prononcées provoquerait en quelques mois l’explosion du système carcéral. En effet le nombre de détenus (69 695 au 1er février) est régulé de façon plus ou moins tacite par les délais qui existent entre le prononcé d’une sanction et sa mise à exécution. Environ 30 % des peines de prison ferme sont accompagnées d’un mandat de dépôt, c’est-à-dire que le condamné est emmené en prison directement à la sortie du tribunal. Pour les autres, le « stock » de peines à exécuter est en permanence d’environ 90 000, avec un délai médian de mise en œuvre de près de quatre mois.
Cyril : En quoi consisteront les travaux d’intérêt général ?
Le travail d’intérêt général (TIG) est non rémunéré et exécuté dans un service non marchand au bénéfice de la collectivité. Par exemple, à Pontoise (Val-d’Oise), des chantiers collectifs sont organisés en relation avec l’Office national des forêts pour que ces personnes condamnées nettoient les forêts des déchets plastiques. La nouveauté du plan Macron est de permettre aux entreprises privées d’en proposer. Cela devra être contrôlé afin que ce ne soit pas une façon d’employer une main-d’œuvre gratuite pour produire des biens ou des services marchands. Le TIG doit avoir une dimension de réinsertion par le travail.
Lulu : Pour les personnes ayant un bracelet électronique, comment cela se passe-t-il concernant leur logement ? Comment peuvent-ils régler leur loyer ?
La pose du bracelet électronique est accompagnée de règles strictes sur les heures de sorties autorisées. En fonction de la peine, de la personnalité de l’individu et de ses besoins (aller à un travail, voir ses enfants, suivre un traitement, etc.), les horaires sont censés être adaptés.
Seraf : Est-ce que Macron n’a pas plus intérêt à revoir la classification des délits et des peines afin de lutter contre le problème de la surincarceration plutôt que de se préoccuper du symptôme qu’est la surpopulation ?
La classification des délits ne sera pas revue, mais celle des peines le sera. Une nouvelle échelle des peines sera inscrite dans le code pénal. Par ordre croissant : les interdictions, les stages (désintoxication, citoyenneté, etc.), le jour-amende, l’amende, le travail d’intérêt général, la probation, le bracelet électronique, la prison. L’objectif est que ces sanctions soient considérées comme de véritables peines par la victime, la société et l’auteur de l’infraction. Si ces peines sont aujourd’hui trop peu prononcées, c’est qu’elles sont considérées comme de simples alternatives à la seule véritable sanction qui serait la prison, des succédanés.
Mandragore : En quoi consiste la probation ?
La probation regroupe des mesures d’interdiction (de se rendre dans telle ville, de rencontrer telle personne, etc.) et d’obligation (de suivre des soins de désintoxication, un stage de citoyenneté, une formation, de rechercher un emploi, etc.). Il s’agit, par un accompagnement personnalisé, de limiter le risque de récidive d’une personne sous main de justice mais non incarcérée et d’améliorer ses chances de réinsertion. Ce sont les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation qui sont chargés de suivre le respect de ces mesures. Problème : ils ont souvent plus de 100 personnes à suivre…
Seb : Quelle différence entre le projet de Macron et ce qu’a fait, ou souhaité faire, Taubira durant le quinquennat précédent ?
Il est vrai qu’Emmanuel Macron rejoint Christiane Taubira lorsqu’il affirme que la prison n’est pas la solution pour un certain nombre de personnes qui sont incarcérées. Le député Les Républicains Eric Ciotti a d’ailleurs dès ce matin attaqué le chef de l’Etat sur ce thème. Mais, « en même temps », comme on dit à l’Elysée, M. Macron affiche une grande fermeté en réduisant les possibilités d’aménager les peines et en voulant faire exécuter au plus vite les sanctions. Ce qui ne figurait pas dans les intentions de la garde des sceaux de François Hollande.
Paul : On nous raconte que la prison est un moyen de réparer le mal que l’on a causé et on dit qu’il importe d’aider les ex-détenus à se (ré) insérer dans la société. J’en ai toujours déduit qu’une fois la peine subie, l’on redevenait un citoyen comme un autre. Je n’ai pas le sentiment que ce soit le cas. Donc avant de réfléchir aux moyens de la politique carcérale, ne devrions-nous pas réfléchir au sens à donner à la prison ?
Vous posez une vaste question. J’ai le sentiment que ce que M. Macron a dit de sa philosophie de la peine y répond en partie. Reste à savoir si ce beau discours qui propose une révolution culturelle sera suivi d’effet… Mais annoncer devant les surveillants, dont le mouvement social de janvier a été le plus dur depuis vingt-cinq ans, que les détenus sont leurs « concitoyens » qui devront retourner dans la société et y trouver une place, quoi qu’ils aient fait, est un signal fort. Plus concrètement, l’annonce de la création de 1 500 postes de conseillers d’insertion et de probation (ils sont actuellement 4 000) sur le quinquennat devrait permettre d’améliorer l’accompagnement des personnes condamnées pour mieux préparer leur sortie. Actuellement, environ 80 % des sorties de prisons seraient « sèches ».
Hervé : Ceci est-il déjà un projet de loi, quand serait-il présenté au Parlement et appliqué ?
Cela s’inscrit dans un projet de loi de programmation de la justice et de réforme pénale qui sera présenté, en principe, en conseil des ministres le 11 avril, et soumis au Parlement avant l’été.
Nicostob : Le projet de loi prévoit-il l’ouverture, comme d’autres pays, de prisons ouvertes pour les peines courtes avec encadrement pour la réinsertion notamment professionnelle ?
Ce ne sera pas dans la loi, mais l’administration pénitentiaire travaille effectivement à une plus grande différenciation des niveaux de sécurité des établissements à construire. Sachant que les moins sécurisés, comme les prisons dites ouvertes, sont les moins coûteux et les plus rapides à faire sortir de terre.