Tournoi des six nations : Mathieu Bastareaud, le retour en grâce d’un joueur qui fait débat
Tournoi des six nations : Mathieu Bastareaud, le retour en grâce d’un joueur qui fait débat
Par Alexandre Pedro
Il n’entrait pas dans les plans de Guy Novès, il est devenu un cadre de Jacques Brunel en un match. Mais l’engouement autour du trois-quarts centre résistera-t-il à l’épreuve de l’Angleterre, ce samedi ?
Mathieu Bastareaud lors de la victoire du XV de France face à l’Italie, le 23 février à Marseille. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS
C’est le président qui le laisse entendre. Ce XV de France serait un repère de soldats inconnus, de bleusailles et d’espoirs qui n’en ont parfois plus l’âge ni vraiment le potentiel. « Aujourd’hui, les gens parlent encore de Chabal, de Michalak, de Dominici mais on ne parle pas des joueurs de l’équipe de France actuelle », déplorait Bernard Laporte au lendemain de son élection à la tête de la FFR.
Un an plus tard, les Bleus perdent toujours (sauf quand ils croisent la route d’une Italie compatissante) et la notoriété de leurs joueurs plafonne encore. A la question « pouvez-vous citer au moins trois joueurs de l’équipe de France de rugby ? », il est à parier que le nom de Mathieu Bastareaud revienne en tête de liste. Une histoire d’ancienneté, de charisme, de table basse mais aussi de performances sportives.
Excellent avec son club de Toulon, le trois-quarts centre a effectué un retour pétaradant contre l’Italie lors de la troisième journée de ce Tournoi des six nations (victoire 34-17). Dans une équipe qui donne le sentiment d’avoir peur de son ombre (et même du Japon), Bastareaud rassure, surtout avant d’affronter l’Angleterre, samedi (17 h 45) au Stade de France. On connaissait le plaqueur féroce, le gratteur de ballon, le bulldozer de défense, on a aussi découvert que le garçon était accessoirement un bon joueur de rugby.
En une soirée, le centre qu’on disait pataud et dépassé lors de la dernière Coupe du monde a été paré de toutes les qualités. Pour un peu, on lui prêterait les jambes de Philippe Sella, la dextérité de Didier Codorniou et une taille mannequin. « Depuis son arrivée, Mathieu est un repère fort de notre équipe, vantait jeudi le sélectionneur Jacques Brunel. Toutes les équipes ont besoin de ces points forts à travers une personnalité. Il est devenu quelqu’un d’important. »
« Comme si la France découvrait son Jonah Lomu »
A 29 ans, Mathieu Bastareaud ferait-il enfin l’unanimité, lui, le joueur segmentant par définition ? Cette querelle esthétique dure depuis presque dix ans et ses débuts internationaux avec d’un côté les pragmatiques qui vantent la puissance de ce précieux gagne-terrain, et de l’autre les derniers romantiques pour qui il reste un coffre à ballons, doublé de l’incarnation d’un reniement à une certaine idée du rugby français. On grossit le trait, mais il est souvent question de caricatures avec Bastareaud et ses 120 kg fluctuants. « Quand il est apparu, c’est un peu comme si la France découvrait son Jonah Lomu », explique au Guardian David Ellis, l’ancien spécialiste (anglais) de la défense du XV de France. Un commentaire qui en dit beaucoup sur l’attente que Bastareaud suscite depuis ses débuts. Qui d’autre a été convoqué en équipe de France (par un Bernard Laporte encore sélectionneur) alors qu’il barbotait encore dans le petit bassin de la Fédérale 1 à Massy à l’été 2007 ?
Blessé, l’intéressé avait raté la tournée néo-zélandaise mais depuis il doit composer avec l’attente suscitée par son profil hors norme à son poste. « Les gens ont toujours vu en moi un potentiel et m’en ont toujours fait part. Même dans les catégories de jeunes [à Créteil-Choisy, puis à Massy], on s’attendait à ce que je fasse gagner l’équipe. Donc, mine de rien, c’est de la pression », avouait au Monde le natif de Créteil en 2015. Longtemps, Bastareaud ne s’est pas couché de bonne heure. L’insomnie était la compagne de ce grand anxieux et les jeux vidéo un dérivatif à ses nuits blanches. « J’ai déjà eu neuf vies dans le rugby, comme dans Super Mario », expliquait avec humour ce garçon dont la subtilité tranche avec sa carrure.
Les Anglais se méfient de lui
Dans sa nouvelle vie, Mathieu Bastareaud dort mieux et aurait trouvé la sérénité en dehors du terrain selon ses proches. Indésirable quand Guy Novès promettait « le grand soir », il opère un nouveau retour en grâce avec un Jacques Brunel qui propose du pragmatisme comme plat unique. Un retour différé voire compromis dans un premier temps. Coupable d’avoir traité l’Italien Sebastian Negri de « putain de pédé » lors d’un match de Coupe d’Europe avec Toulon, le centre avait été suspendu pour l’ouverture du Tournoi contre l’Irlande, puis non retenu face à l’Ecosse histoire de respecter un certain délai de décence.
Depuis, le coupable a présenté ses plates excuses sur les réseaux sociaux et auprès de Negri lors du match face à l’Italie à Marseille. Au Vélodrome, Bastareaud a prouvé aussi qu’il avait apporté quelques variations à sa palette technique. Comme avec le RCT, il a fait jouer derrière lui avec des passes au contact (les fameux offload) et enfilé les habits de patron des lignes arrières. Mais ce n’était que l’Italie, une sélection qui ignore le concept de victoire dans le Tournoi depuis trois ans et un match avec une intensité toute relative. Un rugby de route départementale quand l’Angleterre va proposer un rythme d’autoroute. Et même s’il a progressé dans ces domaines, Mathieu Bastareaud n’est pas devenu en une nuit marseillaise le centre le plus mobile et endurant.
Mais le Toulonnais a au moins le mérite de susciter le respect et même une certaine crainte chez les Anglais à l’approche du crunch. « Il n’a pas le physique classique d’un trois-quarts centre, mais il est très efficace dans ce qu’il fait, observe son vis-à-vis du XV de la Rose, Jonathan Joseph. Il récupère beaucoup de ballons, il a un gros physique et il est très différent des joueurs qu’on a l’habitude d’affronter. » Cette différence, Mathieu Bastareaud a fini par l’intégrer avec le temps. « J’assume d’être atypique », disait-il au moment de la sortie de son autobiographie Tête haute en 2015. Atypique, attachant et enfin incontournable ? C’est encore à voir. Les vérités d’un match ne sont pas souvent celles du suivant. Surtout avec une équipe qui en perd en moyenne sept sur dix depuis un an.