La Guadeloupe se mobilise pour sauver son centre hospitalier universitaire
La Guadeloupe se mobilise pour sauver son centre hospitalier universitaire
En partie ravagé après un incendie fin novembre, le seul CHU de l’île n’est toujours pas réhabilité, trois mois après.
Par Olivier Lancien (correspondant)
La mobilisation s’intensifie en Guadeloupe, plus de trois mois après l’incendie qui a ravagé une partie du centre hospitalier universitaire (CHU) de l’île. Sous la houlette de l’Union des travailleurs de la santé, affiliée à la centrale syndicale de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG, indépendantiste), des prises de parole publiques ont été organisées depuis un mois, principalement dans l’agglomération de Pointe-à-Pitre. Si ces actions ont encore du mal à drainer les foules, les Guadeloupéens commencent à s’emparer de la question de la prise en charge de leur santé.
Le syndicat de la santé s’est allié à des médecins et des personnels de l’établissement pour monter un comité de défense du CHU. Au-delà de la personnalité de son leader syndical, Gaby Clavier, une nouvelle figure de la lutte a fait irruption : la cardiologue Mona Hedreville, employée du CHU. Porte-parole de ce comité de défense, elle incarne l’inquiétude des salariés de la structure et n’hésite pas à dénoncer des conditions de travail « intolérables ».
La direction du CHU et l’agence régionale de santé ont, en effet, décidé en décembre dernier, quelques semaines seulement après l’incendie, de réintégrer une partie des locaux touchés, contre l’avis du préfet de région. Eric Maire avait, à l’époque, souligné des carences en matière de sécurité. Depuis, de nombreux salariés ont fait valoir leur droit de retrait, car confrontés aux odeurs encore bien présentes de fumées. Plusieurs membres du personnel se sont même plaints de « malaises », malgré les distributions de masques respiratoires.
Délocalisation sur trois sites extérieurs
Une première victoire pour le collectif de défense du CHU : le conseil de surveillance a opté, début mars, pour une délocalisation en externe des personnels et des malades pour permettre le nettoyage du site. Une opération qui va prendre plusieurs mois, voire un an. Mais la décision de l’actuelle direction d’organiser des opérations « en plusieurs phases », et surtout la volonté de conserver, sur le site du CHU, « le plateau technique » – urgences, laboratoire, imagerie et réanimation – suscite la polémique.
Annick Girardin, la ministre des outre-mer, a tranché, à l’occasion de sa visite officielle, début mars, et suspendu le projet. L’agence régionale de santé doit encore valider le plan adopté la semaine dernière par le conseil de surveillance épaulé du préfet de région, et qui prévoit une délocalisation sur trois sites extérieurs. Pour gérer la situation, Valérie Denux, médecin militaire rompue aux situations de crise, a été nommée à la tête de l’agence régionale et prend ses fonctions mercredi 14 mars. Mais ces nouvelles orientations du CHU n’ont pas pour autant calmé les inquiétudes des salariés et un préavis de grève a été lancé.
Dans ce contexte, la professeure Suzy Duflo, présidente de la commission médicale d’établissement, ne veut pas être fataliste. « Nous travaillons en mode dégradé, mais il y a une qualité des soins au CHU », s’insurge-t-elle. La professionnelle, saluée par Agnès Buzyn pour son professionnalisme dans la gestion de la crise, ne nie pas les malaises et les dysfonctionnements, mais elle veut rassurer les Guadeloupéens et les patients pris en charge par l’hôpital.
Revoir l’organisation de la santé en Guadeloupe
Les médecins n’ont pas déserté le CHU de la Guadeloupe, martèle la cheffe du service ORL, qui veut battre en brèche les rumeurs de départs massifs de médecins. Le centre hospitalier s’appuie aussi sur des partenaires comme les cliniques qui ont pris le relais pour certains services en lien avec le CHU. Les médecins de ville sont également sollicités. C’est une situation de crise « qu’il faut gérer et dépasser » pour relancer le navire amiral de la santé dans l’archipel, rassure-t-elle.
L’incendie du CHU, le 28 novembre, a démoralisé un peu plus cet archipel de la Caraïbe. Les services de l’Etat, les responsables politiques locaux et les services de secours ont lancé des appels à la prudence, notamment pour les grandes manifestations populaires, afin d’éviter d’engorger le CHU, ou les autres établissements supports. Une situation qui inquiète les Guadeloupéens. Certains affirment que, si besoin est, ils prendront des billets d’avion pour se faire soigner dans l’Hexagone. Beaucoup s’interrogent également sur la construction et la livraison du nouveau CHU de la Guadeloupe, un projet de 600 millions d’euros dont les marchés publics ont été lancés avant l’incendie. Beaucoup prient pour qu’il n’y ait pas dans les jours qui viennent de grosses catastrophes comme un séisme ou un ouragan de forte intensité, avec la saison cyclonique qui s’ouvre dans trois mois.
La situation actuelle du CHU pousse aussi plusieurs élus locaux à demander une révision de l’organisation de la santé en Guadeloupe. Le retour d’expérience de cet incendie montre, selon eux, qu’il ne faut pas concentrer tous les services sur un seul site, surtout pour un archipel. Une remise en cause claire des orientations politiques et économiques de l’Etat.