D’abord mis en cause pour « terrorisme » en 2008, huit membres du « groupe de Tarnac » comparaissent à partir du mardi 13 mars, à Paris, pour de simples dégradations d’une ligne SNCF et des manifestations violentes, des accusations qu’ils réfutent en dénonçant un procès politique.

Le Gypaète Glabre : Est-ce qu’il y a des éléments décrédibilisant le rapport de police concernant la présence des inculpés à proximité du lieu du sabotage ferroviaire ?

De nombreux éléments décrédibilisent le rapport de police, le fameux « PV 104 » (car il est coté au numéro 104 dans le dossier d’instruction). Nous les avions ramassés dans deux posts de blog, ici et . Le trajet décrit est incohérent, tout comme un certain nombre de descriptions. Et, alors que toutes les filatures de Julien Coupat incluses dans le dossier (au moment des sabotages, en novembre 2008, une enquête préliminaire a déjà été ouverte sur ses activités, depuis avril 2008, et il est surveillé de près) sont largement documentées (photo, détails), la seule trace de celle-ci est le fameux PV 104.

PML : On vient d’apprendre que la cour se déplacera sur le site du fameux PV 104 le 23 mars. Que peut-on en attendre ?

Pour m’y être rendu à plusieurs reprises, peut-être les magistrats constateront eux-mêmes l’impossibilité de certaines descriptions. Ceci dit, vu la lourdeur d’un déplacement de la cour, cela risque d’être davantage symbolique.

JeanPiledesCoeurs : La pose des fers sur les voies SNCF est-elle le motif central d’accusation ? Autrement dit : l’« association de malfaiteurs » tient-elle si ceci tombe ?

L’association de malfaiteurs est une infraction très vague. Dans l’ordonnance de renvoi, elle concerne, par exemple, pour Julien Coupat, le fait d’avoir préparé des délits « aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne, en Grèce et sur le territoire national et notamment à Vichy, Tarnac, Paris et Dhuisy [lieu du sabotage] ». Donc il pourrait tout à fait être exonéré de la pose des fers et être condamné pour association de malfaiteurs.

Lou : Vous dites qu’ils seraient susceptibles d’être condamnés pour association de malfaiteurs, encore faudrait-il qu’un mal soit fait et leur soit directement lié, non ?

Non, il suffit de dire qu’ils ont participé à des réunions préparant des manifestations violentes, qu’ils avaient de la littérature insurrectionnelle sur leurs étagères et qu’ils étaient à tel ou tel contre-sommet du G20 et de l’OTAN, et le tour est joué.

Charles : Si je ne me trompe pas, l’association de malfaiteurs ne concerne qu’une partie des prévenus, quelles sont les charges contre les autres ?

Deux d’entre eux sont poursuivis uniquement pour refus de prélèvement biologique (ADN) lors de leur garde à vue. C’est-à-dire qu’ils ont été interpellés, que la justice n’a rien trouvé contre eux, mais qu’ils sont poursuivis pour avoir refusé de donner leur ADN lors de cette garde à vue. Un ADN récolté par les policiers à leur insu de toute façon.

Deux autres sont poursuivis pour des soupçons de faux documents découverts dans un appartement lors d’une perquisition (attestations Assedic, cartes d’identité déclarées volées et factures EDF vierges).

Candide : Quelle est la nuance entre terroriste et malfaiteur ?

Cela a été l’objet de longs débats durant l’instruction et à son issue. L’article 421-1 du Code pénal stipule que « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »… Puis il liste des délits et des crimes. La juge d’instruction a estimé que les faits n’entraient pas dans ce cadre.

Perplexe : Ce type de sabotage a-t-il déjà ou aurait-il pu tuer des passagers ?

Non, en aucun cas.

Jhujhul : Le dossier contient-il des preuves de la culpabilité des huit membres du groupe ? Ou bien tout a été inventé par les policiers ?

La question, c’est culpabilité de quoi ? Concernant le sabotage de Dhuisy, il y a le procès-verbal de surveillance, et une théorie sur l’usage de tubes de plomberie en PVC. Sur la contre-manifestation à Vichy, il y a la preuve que les prévenus ont participé à l’événement – ce qui n’est pas un délit en soi – mais pas forcément qu’ils ont commis des délits lors de la manifestation. Sur l’association de malfaiteurs, une fois de plus, l’incrimination est tellement vague, qu’elle requiert à peine des preuves.

BD : Vous et vos confrères parlez d’un fiasco judiciaire. A croire qu’un complot fou serait à l’origine de tout cela. Cette histoire ne serait-elle pas, en réalité, une banale histoire de policiers paresseux de bien faire le travail ? (Ce qui reste honteux !)

C’est un peu plus que ça, dans la mesure où il s’agit d’une enquête sur pression politique (une pression qui s’affichait de manière assez ouverte), qu’elle a fleuri grâce à des magistrats qui se sont embarqués dedans sans jamais rien remettre en question (sauf la dernière juge d’instruction, Jeanne Duyé). Et surtout, il s’agit des mêmes unités et services qui ont eu à gérer par la suite les « vrais » terroristes, ceux qui ont fait 250 morts en France de 2012 à 2018.

Tatosan : Le traitement par « Le Monde » de l’affaire a-t-il toujours été « objectif » ? N’a-t-il pas succombé, dans un premier temps, à la tentative de manipulation politico-policière ?

Personne n’est parfait, et ce type d’affaire pose un souci de traitement dans les premières heures ou jours : les seules « sources » sont policières, judiciaires, voire politiques. Les gardés à vue sont en garde à vue, et leurs avocats ont autre chose à faire que de répondre aux médias.

Donc il y a une nécessité de prudence dans l’écriture et la présentation des sources et des éléments à charge qu’elles peuvent citer. Mais on ne peut pas, en tout cas, quand on est un journal et un site d’information, ne pas traiter d’un dossier comme celui-ci. Ce ne serait d’ailleurs pas rendre service aux personnes potentiellement accusées à tort, qui le seraient ainsi en silence.

Dans les premières heures et les premiers jours de l’affaire de Tarnac, nous avons donc fait, et bien fait, ce travail, rétrospectivement (en l’occurrence, je précise que ce n’était pas moi).

Gugus : L’ancienneté des faits supposés et l’évolution politique du pays risquent-elles de reléguer ce procès à l’anecdote d’une certaine présidence ?

C’est une possibilité, surtout maintenant que la dimension terroriste a été évacuée. Ceci dit, ZAD et manifestations anti-loi travail aidant, le spectre d’une « menace de l’ultra-gauche » est toujours agité par les politiques et pas mal de médias – avec parfois même encore le nom de Julien Coupat en tête d’affiche.

Crochet : Pensez-vous que la vérité va sortir de ce procès (donc l’innocence des accusés) ? Ou bien faut-il craindre une justice peu regardante sur les preuves ?

Grâce à l’association de malfaiteurs, la justice peut ne pas être très regardante sur les preuves. Prenons un exemple récent, le procès d’Abdelkader Merah. Il était poursuivi pour complicité concernant les crimes de son frère. Mais l’enquête n’avait pas réellement permis de mettre au jour des éléments de preuve, indispensables pour établir la complicité. Il a donc été innocenté sur ce volet. En revanche, il a été condamné pour association de malfaiteurs.

Joe6pack : Ne pensez-vous pas que la DCRI, ce super FBI français créé par Sarkozy sur mesure pour son allié Squarcini, était trop occupée à traquer des Julien Coupat au lieu de surveiller sérieusement des Mohamed Merah ?

C’est un peu plus compliqué. Si la DCRI n’avait pas surveillé (et ne surveillait pas) Julien Coupat, elle n’aurait pas attrapé pour autant Mohamed Merah, qu’elle a laissé filer en raison d’une erreur d’appréciation. En revanche, l’affaire de Tarnac montre que le système antiterroriste (renseignement et judiciaire) était dysfonctionnel et incapable de tirer les leçons de ses erreurs avant la vague d’attentats meurtriers qui ont touché la France. Ce qui s’est tragiquement confirmé par la suite.

Krimssone : Si ma mémoire est bonne, cette affaire n’avait-elle pas été gonflée par les rivalités des services de sécurité de l’Etat et par Michèle Alliot-Marie pour son profit et se faire mousser ? Je lis qu’elle ne viendra pas, ni Squarcini. Les magistrats ont-ils l’intention de les entendre ?

Pas pour l’instant, mais le tribunal se réserve cette possibilité, sous réserve que cela soit utile à la manifestation de la vérité. C’est peu probable, tant cela orienterait l’audience dans une direction très politique.

Archie : Y a-t-il la moindre chance qu’une enquête ait lieu sur les manipulations auxquelles se sont livrés la police et le renseignement ? Une commission d’enquête parlementaire ?

Les mis en examen ont engagé des procédures pour faux, mais elles n’ont pas abouti. Politiquement, certains membres du Parti socialiste, dont François Hollande, ont pris la défense des mis en examen à l’époque, mais sans aller jusqu’à la commission d’enquête. Et puis ensuite, ils sont arrivés au pouvoir. Et maintenant…

Benatt : Il y a bien eu un crochet sur une caténaire : si ce n’est pas Julien Coupat, ce seraient d’autres « malfaiteurs » ?

C’est une question à laquelle l’enquête policière ne s’est pas du tout intéressée. D’autant plus que trois autres sabotages ont eu lieu simultanément ailleurs en France et étaient donc coordonnés. Mais il n’y a jamais vraiment eu d’enquête sur ceux-là.

Paul Ricard : Si ce ne sont pas eux qui ont fait le coup, qui l’a fait ?

Les sabotages ont été revendiqués par des antinucléaires allemands, qui avaient déjà utilisé cette technique par le passé, d’ailleurs. La piste n’a jamais été creusée.

Papa Nurge : Ce procès va-t-il être aussi celui des enquêteurs, lesquels ont notamment fait l’impasse sur cette piste des antinucléaires allemands ?

Les enquêteurs viennent d’obtenir le droit d’être entendus anonymement… donc la défense va essayer, mais ça ne va pas être évident.

Benatt : Combien de temps Julien Coupat et son ex-compagne ont-ils passé en prison ?

Six mois pour Julien Coupat, deux mois pour Yildune Lévy.

Punknotdead : Y a-t-il un risque que Yildune Lévy charge son ex-compagnon pour se dédouaner ?

Non.

Bboy22 : Dix ans pour juger cette affaire… Ce n’est pas un peu long ?

D’autant plus que certaines années, quasiment aucun acte d’enquête n’a été effectué, et que cela fait quatre ans que l’instruction elle-même est achevée.