Procès Tarnac : la pièce centrale de l’accusation disséquée
Procès Tarnac : la pièce centrale de l’accusation disséquée
Le Monde.fr avec AFP
Les débats ont été recadrés vendredi. Le tribunal a analysé le procès-verbal de surveillance, qui a révélé de nombreuses incohérences.
Pièce centrale pour l’accusation, le document est considéré comme un faux par la défense. Au procès Tarnac, le tribunal a passé, vendredi 16 mars, au crible le procès-verbal (PV) de surveillance de Julien Coupat et Yildune Lévy la nuit du sabotage d’une ligne SNCF.
La présidente Corinne Goetzmann a d’abord tenu à recadrer les débats après les débordements des premiers jours, où certains prévenus sont parvenus par leurs interpellations, questionnements et affirmations, à imposer leur tempo.
« J’ai bien conscience que dans ce procès, il y a chez certains prévenus une colère qui avait besoin de s’exprimer, c’est la raison pour laquelle il m’a semblé important de leur laisser [la parole], ce qui fait que les débats ont été plutôt atypiques. »
« Ce n’est pas comme cela que doit se dérouler un procès pénal, il faut pouvoir discuter des éléments de preuve, s’écouter », a-t-elle lancé. « Ce procès est une affaire sérieuse », a insisté Corinne Goetzmann, soulignant l’aspect « fondamental dans l’architecture du dossier » de ce procès-verbal.
De nombreuses incohérences
Le PV détaille la surveillance de Julien Coupat et de Yildune Lévy par des policiers de l’antiterrorisme (SDAT) et du renseignement intérieur (DCRI). Combien étaient-ils ? Entre 15 et 20, selon les témoignages. De quels moyens matériels disposaient-ils ? Secret défense.
Engagée le 7 novembre à 11 h 10 à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), la filature prend fin le 8 novembre peu avant 6 heures après le retour du couple à Paris. Entre temps, la Mercedes empruntée par le couple au père de Coupat sera vue en train d’effectuer des allers-retours durant la nuit sur les routes de Seine-et-Marne. Les policiers affirment avoir observé le véhicule « stationné tous feux éteints à l’entrée d’une voie de service » de la SNCF, en contrebas de la ligne TGV où un crochet en fer a provoqué l’avarie d’un train.
Celui qui est présenté comme le théoricien de la communauté libertaire de Tarnac (Corrèze) et sa compagne d’alors sont pour cela poursuivis pour dégradation d’une ligne SNCF, des faits passibles de cinq ans de prison et 75 000 euros – et non plus pour terrorisme.
Mais le PV présente de nombreuses incohérences : les policiers disent avoir vu le véhicule passer sous l’autoroute A4 alors que la route passe au-dessus et un policier qui aurait participé à la filature a, à la même heure, signé un PV au siège de la SDAT à Levallois-Perret, près de Paris.
Un PV « adapté » selon Coupat
Le procureur Olivier Christen a tenté de justifier ces erreurs, expliquant que l’auteur du PV l’avait rédigé dans les 24 heures à partir de ses notes et de cartes. Il a affirmé que l’autre policier a bien participé à la filature mais a maladroitement validé par la suite un fax parvenu cette même nuit à la SDAT.
Appelée à la barre, Yildune Lévy a raconté être partie en voiture avec Coupat parce qu’ils se sentaient suivis à Paris et pour se retrouver ensemble : « Cette surveillance créait un sentiment de peur et nous conduisait à faire des choix un peu absurdes. »
Très vite, le couple se rend compte, sur les petites routes de Seine-et-Marne, qu’il est toujours pisté. « La seule chose dont je me souviens aujourd’hui, c’est de l’hôtel du Mouflon d’or », où ils n’avaient pu trouver de chambre pour la nuit, et de la pizzeria « Bella Vita » où ils se sont restaurés. Elle évoque aussi un « câlin » dans la voiture avec Coupat « pour se réchauffer » : « On a éclaté de rire et l’on s’est dit : “Ce week-end, c’est trop la loose”. »
« Ce qui s’est passé n’est pas mystérieux », explique Coupat. « Les policiers ont fait une filature jusqu’à minuit puis ils sont allés se coucher. Mais le lendemain ils se sont dits : “aïe aïe aïe”, en découvrant les sabotages aux infos », alors ils ont adapté leur PV « pour insinuer que nous avons un rapport avec tout ça ». Il met en cause « le bon sens » de l’accusation : « Des gens qui cherchent un hôtel et se savent suivis sont peu susceptibles de se rendre coupables d’un sabotage. »