Douanier, un métier redessiné par l’actualité
Douanier, un métier redessiné par l’actualité
Par Madeleine Vatel
Avec le risque terroriste, la profession de douanier a dû évoluer. La formation de l’Ecole nationale des douanes de Tourcoing s’est adaptée en conséquence.
L’école nationale des douanes de Tourcoing. / Douanes françaises / Via Campus
L’oral d’admissibilité est souvent l’occasion de mesurer ce qu’un métier véhicule encore comme mythes et fantasmes. Le concours de l’Ecole nationale des douanes ne fait pas exception. Les jurys savent qu’ils entendront encore des candidats prêts à rejoindre Julie Lescaut ou à emboîter le pas de James Bond.
S’il y a bien chez les douaniers des pilotes d’hélicoptère, des marins et des enquêteurs, la profession compte aussi beaucoup de métiers de l’ombre ou peu connus. « La douane en uniforme reste la plus visible, notamment dans les aéroports. Ces agents qui luttaient surtout contre tous les types de trafic, protègent aussi [maintenant] contre le risque terroriste », détaille Bernard Falchun, responsable du pôle de formation continue, au cœur des locaux de Tourcoing. Ce bâtiment vitré – imaginé par les créateurs du Parlement européen de Strasbourg – accueille l’une des deux écoles nationales en France, avec celle de La Rochelle. A elles deux, elles ont vu passer les presque 17 000 douaniers français qui officient actuellement dans la métropole et les territoires d’outre-mer.
Le métier a changé, et la formation aussi. Le 30 mai 2014, ce sont des douaniers qui interceptent le djihadiste Mehdi Nemmouche, en fuite après l’attentat au Musée juif de Bruxelles. Ils exerçaient un contrôle de routine dans un bus stationné à la gare routière de Marseille. Depuis, les formateurs ont intégré un module pour faire face à la menace terroriste. « Même s’ils ne sont chargés que du contrôle des marchandises, les douaniers sont susceptibles d’être en contact avec des personnes en cavale et capables de tuer », explique Catherine Olivan, directrice du service douanier à la direction nationale du recrutement et de la formation professionnelle (DNRFP).
L’ombre des attentats du 13 novembre 2015
La dernière promotion de Tourcoing a été baptisée des noms d’Anne-Laure Arruebo et Cécile Coudon Peccadeau de L’Isle, douanières tombées sous les balles des terroristes au café La Belle Equipe, lors des attentats de Paris, le 13 novembre 2015. C’est dans ce contexte que les jeunes recrues apprennent à porter un gilet pareballes de près de 10 kg et, surtout, à manier une arme plus puissante que le pistolet semi-automatique Sig Sauer : le pistolet-mitrailleur HK UMP. Les douaniers peuvent désormais, comme les policiers, les gendarmes et les militaires de l’opération « Sentinelle », ouvrir le feu en cas de « périple meurtrier » – comprendre, lors d’une tuerie de masse.
Parce que les fraudeurs et les trafics en tout genre évoluent, l’Ecole nationale des douanes doit s’adapter en permanence. Dans les salles de classe, le matériel pédagogique est lui aussi de plus en plus perfectionné : on y apprend aujourd’hui à se servir d’analyseurs de particules sans source radioactive pour détecter les traces de stupéfiants et d’explosifs, mais aussi de spectromètres Raman pour identifier en trente secondes une poudre ou un liquide à travers des contenants transparents, sans même avoir à prélever des échantillons.
S’adapter aussi aux hackeurs, à la cybercriminalité
Il faut également s’adapter aux hackeurs, et étoffer ses équipes d’informaticiens. « L’un des rôles de la douane est de protéger l’économie nationale et européenne contre des pratiques déloyales, et ça passe par une meilleure traque des cybercriminels », rappelle Jean-Claude Guëll, directeur des services douaniers à la direction interrégionale des douanes de Lille. « On doit innover dans la manière d’enseigner », rappelle pour sa part Catherine Olivan. L’école de Tourcoing a ainsi envoyé à l’école de cinéma Le Fresnoy une équipe de formateurs, et s’est équipée de matériel de tournage. « Ces agents ont appris à réaliser des petits films d’action pour que les élèves identifient des situations réelles et actuelles », raconte la responsable de la DNRFP.
Conséquences du Brexit
Les impulsions gouvernementales remplissent les écoles. Suite aux attentats, 1 000 douaniers supplémentaires ont été recrutés dans le cadre du « pacte de sécurité », en 2016 et 2017. Même mouvement avec les conséquences du Brexit : en septembre 2018, 95 agents de constatation seront formés pour effectuer les déclarations en douane, qui remplaceront le libre-échange des biens.
Dans la cafétéria des étudiants, s’étalent en grand les visages de Dany Boon et de Benoît Poelvoorde. L’affiche du film du Nordiste Rien à déclarer confirme les clichés. « Certains citoyens pensent aussi qu’avec la fin des barrières, les douaniers ont disparu. C’est tout le contraire », remarque Bernard Falchun. En 2018, la douane offrira au recrutement 470 postes dans les catégories A (inspecteurs) et B (contrôleurs) pour une année de formation en internat. Ouvert à bac + 3, le concours recrute en réalité des masters et des doctorats. Beaucoup de juristes se présentent. Quelques profils atypiques mais pas rares font leur apparition : des gardiens de prison, des élèves sortis d’école de commerce ou des étudiants diplômés dans le domaine de la protection de la propriété culturelle aspirent, eux aussi, à devenir douanier.