Le paysagiste Achille Duchêne et l’Exposition internationale de 1937
Le paysagiste Achille Duchêne et l’Exposition internationale de 1937
Par Lucien Jedwab
Evénement considérable en son temps, avec ses enjeux économiques, politiques et diplomatiques, la dernière grande Exposition organisée en France eut pour maître de cérémonie le paysagiste Achille Duchêne
L’Exposition internationale de 1937 consacrée aux « arts et techniques dans la vie moderne », qui accueillit en son temps... 31 millions de visiteurs, fait aujourd’hui elle-même l’objet, jusqu’au 12 mai, d’une (plus modeste) exposition à la bibliothèque universitaire de Saint-Quentin-en-Yvelines. La figure centrale en est Achille Duchêne (1866-1947), un paysagiste à la notoriété alors bien établie. Celui-ci avait pris la succession de son père, Henri Duchêne, après lui avoir été associé. Il avait dessiné et créé, restauré ou réinventé des centaines de jardins de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie – dont une grande partie ont pu être préservés jusqu’à aujourd’hui. Parmi ceux-ci, Vaux-le-Vicomte, Champs-sur-Marne ou Breteuil. Mais aussi Condé-sur-Iton, Courances, Voisins, Royaumont, Blenheim, en Angleterre, ou les jardins de l’hôtel de Matignon.
Portrait d’Achille Duchêne (1936). / © MICHEL DUCHÊNE
Achille Duchêne fut sollicité en 1937 pour être « maître de cérémonie et grand initiateur des fêtes somptueuses données à cette exceptionnelle occasion », nous rappelle son arrière-petit-fils, Michel Duchêne, qui a prêté de nombreux objets et documents pour l’exposition. Achille Duchêne s’acquitta de sa tâche avec talent, dans le contexte de tensions sociales et diplomatiques de l’époque. Colossal, le chantier de l’Exposition avait pour épicentre le nouveau palais de Chaillot, avec les jardins (dessinés par Achille Duchêne), l’aquarium, les bassins et les fontaines du Trocadéro. Il comprenait le palais de Tokyo, le Palais de la découverte, le palais d’Iéna, conservés, et s’étendait principalement sur le Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel, autour du Grand Palais et sur l’île aux Cygnes. La partie « Art des jardins » avait élu domicile dans le parc de Sceaux.
Prise par Achille Duchêne, la photographie montre le palais du Trocadéro en construction et, à l’arrière-plan, la tour Eiffel et la statue colossale du pavillon soviétique. / © MICHEL DUCHÊNE
Programmée dès 1934, l’Exposition, avec la victoire électorale du Front populaire et le mouvement de grèves qui s’en est suivi, devint un enjeu à haute charge symbolique pour le gouvernement de Léon Blum, mais aussi pour un de ses soutiens, le Parti communiste français. Alors dirigé par Maurice Thorez, celui-ci se faisait le chantre de la politique de Staline, qui achevait brutalement d’asseoir son pouvoir. A Paris, face à l’aigle nazi du pavillon de l’Allemagne, conçu par l’architecte Albert Speer, futur ministre d’Hitler, le pavillon de l’URSS devait incarner le dynamisme de la « patrie du socialisme ». Surmonté de la spectaculaire statue en métal inoxydable d’une sculpturale kolkhozienne et d’un ouvrier brandissant une faucille et un marteau emblématiques, il préfigurait un rempart contre la guerre à venir... Guerre déjà présente sur le sol de l’Espagne républicaine, dont le pavillon présentait le Guernica de Picasso.
« Un jardin de rêve », dessin par Achille Duchêne, in « Les Jardins de l’avenir » (1935). / © MICHEL DUCHÊNE
Achille Duchêne, lui, avait énoncé dès 1935 des conceptions nouvelles dans un ouvrage précurseur, Les Jardins de l’avenir. Il y constatait la disparition, conséquence de la première guerre mondiale et du krach boursier de 1929, des grandes fortunes qui avaient permis l’existence de jardins d’exception. Dorénavant, il s’agirait « d’introduire la beauté dans la vie collective (...), par des moyens qui permettent à chacun d’utiliser et d’incorporer à sa propre existence l’élément esthétique dont se sera enrichi le patrimoine commun ». Un programme auquel ne pouvaient que souscrire les promoteurs de l’Exposition de 1937. Mais Achille Duchêne ne fut pas qu’un théoricien et un acteur de premier plan, il fut aussi, grâce à sa passion et à sa maîtrise de la photographie, un témoin privilégié.
Le président Albert Lebrun inaugurera l’Exposition le 24 mai, au lieu du 1er. On peut apercevoir sur la photographie, prise par Achille Duchêne depuis son domicile, les palissades qui dissimulent encore le chantier. / © MICHEL DUCHÊNE
« Exposition internationale de 1937 : photos et objets insolites », bibliothèque universitaire de Saint-Quentin-en-Yvelines, jusqu’au 12 mai 2018. Voir, issu du dossier des Cahiers d’histoire (n° 135), « L’Exposition internationale de 1937 : politique et culture au temps du Front populaire », l’article de Georges Vayrou, « Deux regards sur l’Expo de 1937 », illustré de nombreuses photographies d’Achille Duchêne.