Tribune. Le président français Emmanuel Macron doit prononcer, mardi 20 mars, Journée internationale de la francophonie, un discours sur les grands axes de sa politique afin de « promouvoir la langue française et le plurilinguisme dans le monde ». L’écrivaine et journaliste franco-marocaine Leïla Slimani, prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman Chanson douce, a été nommée en novembre 2017 représentante personnelle du chef de l’Etat français pour la Francophonie.

Mme Leïla Slimani,

A l’occasion de la Journée internationale de la francophonie, Emmanuel Macron présentera un plan global « pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme dans le monde » en concertation avec vous. Au regard de l’intérêt du président pour le développement du numérique et des technologies de l’information et de la communication, cet axe sera certainement inscrit dans sa nouvelle stratégie. En tant qu’organisations de la société civile défendant le droit à l’information et l’accès au numérique, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Cependant, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait qu’aujourd’hui des coupures d’accès à Internet et aux télécommunications, décidées par les pouvoirs politiques et exécutées par les opérateurs de téléphonie mobile, privent régulièrement des millions de francophones de leurs droits :

  • En République démocratique du Congo (RDC), pays comptant le plus de francophones après la France, le pouvoir coupe Internet à chaque manifestation publique depuis trois ans.

  • Alors que dans de nombreux pays, élections présidentielles riment avec effervescence sur les réseaux sociaux, ce n’est pas le cas au Tchad, au Gabon, au Togo ou au Congo-Brazzaville. Le passage aux urnes a été l’occasion pour les régimes en place d’utiliser les coupures ou le bridage d’Internet comme une nouvelle arme répressive afin de faire taire la contestation de l’opposition et de la société civile. Les élections se déroulent dès lors en toute opacité.

  • Au Cameroun, quatre-vingt-treize jours de coupure ont été imposés par les autorités dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, majoritairement anglophones, à compter du 19 janvier 2017. Ces trois mois sans Internet constituent la plus longue coupure enregistrée en Afrique et le risque est grand que cela se reproduise lors de l’élection présidentielle prévue en 2018.

Notre préoccupation, en tant que francophones, est d’autant plus grande face au rôle direct que joue l’entreprise Orange, dont l’Etat français est actionnaire, dans la plupart des cas évoqués ci-dessus.

Utiliser librement le français en ligne

M. Macron, lors de son discours de novembre 2017 à Ouagadougou, indiquait lui-même l’importance de l’accès à Internet dans le cadre d’une éducation pour tous en Afrique, en déclarant : « Nous construirons l’accès à cette bibliothèque à partir des campus numériques francophones. […] Et nous allons les renforcer en impliquant les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès pour vous apporter dans ces campus des meilleurs points de connexion pour un accès de haut débit. »

Or, sans le respect des droits, la francophonie numérique est une chimère. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) semble elle-même minimiser l’importance de ces droits, elle qui n’a pas jugé bon de nommer un successeur à Kako Nubukpo, écarté du poste de directeur de la francophonie économique et numérique en décembre 2017.

Mme Slimani, vous qui êtes attachée au respect des droits et qui souhaitez « sortir la francophonie d’une vision postcoloniale », nous vous invitons à prendre à bras-le-corps le sujet des violations des droits numériques, en Afrique comme ailleurs. L’amour du français passe aussi par la possibilité de l’utiliser librement en ligne et d’avoir accès à des contenus francophones. Il est du rôle de l’OIF et de l’Etat français, que vous représentez, de défendre partout le droit de s’exprimer et d’accéder à l’information conformément à l’article 1er de la Charte de la Francophonie, qui défend le « développement de la démocratie », « l’Etat de droit » et les « droits de l’homme ».

Mme Slimani, portez l’idée d’une Francophonie au service des droits numériques. Nous, organisations de la société civile d’Europe et d’Afrique, sommes prêtes à vous soutenir dans une démarche de défense des droits et de la démocratie au sein des instances politiques francophones.

Laurent Duarte, coordinateur international de Tournons la page/Secours catholique ; Julie Owono, directrice exécutive d’Internet sans frontières ; Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, coordonnateur du Projet pour une alternance crédible au Tchad ; Blaise Ndola, coordonnateur de la Blogosphère de Goma (RDC) ; Pascal Franchet, président du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM France), Jean-Jacques Eyi Ngwa, président de l’Observatoire gabonais sur la responsabilité sociétale des entreprises, des administrations et des industries.