« Demons in Paradise » : les fantômes de la guerre civile sri-lankaise
« Demons in Paradise » : les fantômes de la guerre civile sri-lankaise
Par Thomas Sotinel
Souvent brouillon, le premier documentaire réalisé par un cinéaste tamoul sur le conflit qui a déchiré son pays recèle une impressionnante masse d’informations.
La guerre civile au Sri Lanka (1983-2009) a fait des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de réfugiés. Parmi eux, Jude Ratnam, qui a dû d’abord fuir Colombo, la capitale de l’île, lors des pogroms dirigés contre la population tamoule avant de s’exiler. Le cinéaste avait cinq ans lors des premiers affrontements et son film apparaît comme l’effort d’un homme adulte pour donner une forme, sinon un sens, au chaos dans lequel il a grandi.
Réduisant au minimum les éléments de contexte historique (quelques images d’archives coloniales britanniques en début de projection, une poignée de phrases qui rappellent le déchaînement d’une partie de la population cinghalaise contre ses compatriotes tamouls), Jude Ratnam fait parler des membres de sa famille – un oncle et une tante qui sont restés à Colombo, un autre oncle devenu guérillero – et des habitants du nord de l’île, théâtre des combats les plus violents.
Un train comme leitmotiv visuel
Mieux vaut s’être documenté au préalable pour comprendre cette conversation nocturne entre anciens combattants qui racontent non seulement la pression de l’armée gouvernementale mais aussi la dérive autoritaire des LTTE (les Tigres de la libération de l’Eelam Tamoul), l’organisation politico-militaire qui a pris la direction des opérations.
Avec, pour leitmotiv visuel, un train – celui qui reliait le Sud cinghalais au Nord tamoul – immobilisé par la jungle sur une voie qui ne va plus nulle part, Jude Ratnam tente de porter son film vers le lyrisme, vers une déploration qui serait aussi une œuvre historique. Le cinéaste fait sans doute trop confiance aux connaissances et à l’agilité intellectuelle de son public, et les approximations de la mise en scène, les imprécisions du récit, l’empêchent de mener à bien ce projet. Reste une masse d’informations, de regrets et de colères qu’on n’avait pas encore vue à l’écran.
Documentaire français et sri-lankais de Jude Ratnam (1 h 34). Sur le Web : www.survivance.net/document/46/69/Demons-in-Paradise