Editorial du « Monde ». Facebook est-il encore digne de confiance ? La vitesse à laquelle le mot dièse #deletefacebook (« supprimer Facebook ») se répand sur les réseaux sociaux montre que des millions d’internautes ont déjà un avis sur la question. Ce doute apparaît légitime depuis les révélations sur le siphonnage des données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à leur insu, dans le but supposé de peser sur le résultat de la dernière élection présidentielle américaine.

A l’origine de l’affaire se trouve Cambridge Analytica, un cabinet spécialisé dans les études de consommation, dont Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump et figure de l’extrême droite américaine, a été l’une des chevilles ouvrières. Peu de temps après sa création, en 2014, la société avait fait appel à un chercheur de l’université britannique de Cambridge pour se développer dans les études d’opinion. Sous couvert de mener des recherches universitaires sur les comportements électoraux, celui-ci avait mis au point une application proposant à des membres de Facebook inscrits sur les listes électorales américaines de remplir un questionnaire contre une modeste rétribution.

50 millions de personnes abusées

Plus de 270 000 personnes ont téléchargé l’application, ce qui a permis d’avoir accès à leurs données personnelles, mais aussi à celles de leurs amis. Grâce à la viralité que permet Facebook, près de 50 millions de personnes auraient été ainsi abusées. Cette base de renseignements, croisée avec les préférences exprimées par ces internautes sur le réseau social, aurait permis de dresser des profils psychologiques et politiques suffisamment précis pour les cibler avec de la publicité dans le but d’orienter leur vote.

Cinq jours après l’éclatement de l’affaire, le silence des dirigeants de Facebook est assourdissant, alors que la pression monte de toutes parts. Aux Etats-Unis comme en Europe, parlementaires et instances de régulation veulent comprendre pourquoi Cambridge Analytica a eu accès à ces données et pourquoi Facebook n’en a pas informé ses utilisateurs, pas plus qu’il n’a pris de mesures efficaces pour remédier au problème.

Fausse gratuité

La teneur de la réponse est de nature à remettre en question le modèle économique du réseau social, qui a construit sa prospérité sur une fausse gratuité : derrière l’accès à une plate-forme d’échange pour rester en contact avec ses « amis » et s’informer se cache une monétisation des données des utilisateurs aux visées commerciales ou politiques. L’adage selon lequel « Si le service est gratuit, c’est que vous êtes le produit » n’a jamais été aussi pertinent. Par naïveté plus ou moins assumée, les internautes, bercés par les promesses des géants de l’Internet, n’ont pas prêté suffisamment attention aux conséquences de ce que cela signifiait.

Cette affaire est d’autant plus grave qu’elle n’est pas isolée. Facebook est aussi accusé de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine et de participer à la diffusion de fausses informations et de contenus racistes ou faisant l’apologie du terrorisme.

En début d’année, Mark Zuckerberg avait pris une résolution : « réparer » Facebook pour regagner la confiance de ses utilisateurs. Ce nouveau scandale montre toute la difficulté qu’a le réseau social à se réguler lui-même. Il est grand temps que les pouvoirs publics s’emparent du sujet pour protéger des données personnelles que nous avons imprudemment laissées à la merci des convoitises.