Téléfilm sur Arte à 20 h 55

Dans le tramway bondé, alors qu’elle s’effarouche et qu’il sourit, leurs regards se croisent. Puis se recroisent. A la piscine où elle se rend, comme chaque mercredi soir et où il l’a suivie, pour la première fois, ils ne se parlent pas, suspendus au désir dont ils retardent, avec conscience, l’aboutissement. A la sortie, l’étreinte se produit dans cette furieuse urgence, cette fulgurante intimité qui fait s’entendre les corps sans que les mots n’aient à s’en mêler. Ne me dis rien : le téléfilm d’Andreas Kleinert ne pouvait avoir de meilleur titre.

Photographe, mariée avec un homme qu’elle aime et mère d’une adolescente raisonnablement rebelle, Lena (Ursina Lardi) reverra Martin (Ronald Zehrfeld), journaliste, lui aussi amoureux de sa femme. Soucieux de préserver leur couple, ils entameront une liaison qu’ils penseront pouvoir maîtriser. Certains que leur rencontre et les éclats de vie goûtés dans le décor pourpre d’une chambre d’hôtel ne déborderont pas sur un quotidien dont ils n’ont ni à se plaindre ni à souffrir.

Une lente dégradation

Ne me dis rien ne consent aucun empêchement. Traitée à la manière d’un matériau brut, la passion des amants adultères s’impose sans que ne soit exploité, pour la justifier, l’argument des sentiments – pourtant présents – ou l’excuse de l’ennui (voire la frustration) conjugal. Face à ce matériau brut qui n’offre aucune prise, il n’est rien d’autre à faire que d’attendre l’apparition de la première fissure, puis de la deuxième. Avant que le mur ne se lézarde, devienne poreux.

Martin (Roeland Wiesnekker) et Lena (Ursina Lardi). / © SWR/JULIA VON VIETINGHOFF

La parenthèse d’un week-end à la mer, où il a fallu mentir plus qu’à l’ordinaire, et dont les digues d’étanchéité se rompent au retour. La soirée d’un réveillon où, chacun, dans son foyer, se sent aspiré par le manque du corps de l’autre. Les larmes, la douleur, le dépit… Andreas Kleinert enregistre cette lente dégradation dans laquelle pourtant Lena et Martin choisiront de ne pas sombrer, soustrayant ainsi le film à une entière noirceur. Il n’empêche que la scène finale, filmée à travers la vitre d’un café, sans qu’aucune parole ne s’échange, fait un clin d’œil si grand à l’esthétique d’Edward Hopper qu’on ne peut échapper au désenchantement dont le film n’a cessé de repousser l’avènement.

Ne me dis rien, d’Andreas Kleinert. Avec Ursina Lardi, Sarah Hostettler, Ronald Zehrfeld (All., 2016, 90 min).