Mevlüt Çavusoglu et Sigmar Gabriel, le ministre allemand des affaires étrangères, le 6 mars, à Berlin. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Le « mini-sommet » qui s’ouvre, lundi 26 mars à Varna, en Bulgarie, entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et les présidents de la Commission et du Conseil européen, Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, est censé durer quelques heures. Suffira-t-il à recoller les morceaux de la relation dégradée entre l’Union européenne et la Turquie ? Sans trop s’attarder sur les sujets qui fâchent – les tensions en Méditerranée, la dérive autoritaire du président Erdogan, les atteintes aux droits de l’homme –, les responsables européens vont jouer la conciliation.

Dépendante d’Ankara pour la gestion des flux migratoires, la lutte antiterroriste et la coopération pour la capture des djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) de retour de Syrie, l’UE marche sur des œufs. Conformément à l’accord sur les migrants conclu en mars 2016 avec la Turquie, Bruxelles a décidé de débloquer trois milliards d’euros supplémentaires pour aider l’Etat turc dans sa prise en charge de trois millions de réfugiés syriens.

Comme il faut bien sanctionner les manquements à l’Etat de droit, les versements octroyés à la Turquie en 2018 au titre de la préadhésion vont diminuer (moins 100 millions d’euros). Les versements de préadhésion existent mais il n’est plus question d’adhésion. Depuis la dérive autoritaire qui a suivi le coup d’Etat manqué de juillet 2016, aucun responsable en Europe ne peut croire sérieusement à l’arrimage de la Turquie à l’UE. « L’accession de la Turquie à l’Union en tant qu’alliance politique organisée n’est plus à l’ordre du jour », écrit Marc Pierini, chercheur à la Fondation Carnegie Europe, dans une analyse publiée le 14 mars. Malgré cela, « il faut continuer à coopérer », ajoute l’ancien diplomate.

Le gouvernement turc, lui, continue d’y croire, ou fait comme si. « L’adhésion reste notre but stratégique. Notre volonté n’a jamais faibli mais, malheureusement, Bruxelles fait tout pour l’ignorer », a expliqué Mevlüt Çavusoglu, le chef de la diplomatie, lors d’un entretien avec Le Monde à Ankara, à la veille de la rencontre de Varna. De celle-ci, il attend des avancées dans trois domaines : « La libéralisation des visas, l’union douanière, l’accord migratoire. » Selon lui, les tensions dans la relation Turquie-UE sont « passagères » : « Les Européens vont s’habituer à la nouvelle Turquie. Bien sûr, cela prendra du temps. Ils vont devoir réaliser que nous ne pouvons plus patienter les bras croisés devant la porte. »

« Nous faisons partie de ce continent »

Sûre d’elle, la « nouvelle Turquie » entend tenir la dragée haute aux partenaires européens tant elle se voit comme « irremplaçable » pour la gestion des flux migratoires et la lutte antiterroriste. « Il est inacceptable que les Européens nous rappellent combien nous sommes éloignés d’eux, estime M. Çavusoglu. Nous faisons partie de ce continent. » Selon lui, la mésentente est due en grande partie « à la morgue des Européens ». « Bruxelles a un regard condescendant sur certains pays, à commencer par ses propres Etats membres, regrette M. Çavusoglu. Il faut arrêter de nous regarder de haut. Menacer, mépriser est contre-productif. Pour progresser ensemble, encore faut-il voir l’interlocuteur comme un égal. »

La Turquie n’a-t-elle pas quelques manquements à déplorer ? « Aucun. » Le coupable, c’est l’autre. « Les Européens ne savent pas ce qu’ils veulent par rapport à l’élargissement, attaque le diplomate. Leur projet est plein d’incertitudes, leur politique n’est pas claire. Certains Etats veulent rétrécir l’Union, retourner à l’ordre ancien, douze pays ; d’autres veulent la quitter. L’émergence de mouvements politiques souverainistes et xénophobes remet en question la raison d’être de l’Union et lui fait perdre sa crédibilité. »

Le « partenariat privilégié » évoqué par Emmanuel Macron lors de la visite de son homologue turc à Paris, en janvier, n’est pas vu d’un bon œil. « Cette proposition est floue », balaie M. Çavusoglu. C’est l’adhésion ou rien. Mais pour y prétendre, ne faudrait-il pas commencer par rétablir l’Etat de droit en Turquie ? « Toutes les exigences des Européens en matière de respect des droits de l’homme figurent dans les chapitres 23 et 24 des négociations d’adhésion. Il ne tient qu’à Bruxelles de décider de les ouvrir. De notre côté, nous sommes prêts à appliquer ces critères. Si nous échouons, ces chapitres seront fermés. Pourquoi ne pas les ouvrir ? »

Litige chypriote

Comme si les sujets qui fâchent ne suffisaient pas entre l’UE et la Turquie, un nouveau litige s’est ajouté, qui porte sur l’exploitation des réserves de gaz au large de Chypre. Ankara s’y est opposé en empêchant un navire de la compagnie italienne ENI d’accéder aux gisements. Jeudi 22 mars, le Conseil européen a condamné « la poursuite des actions illégales de la Turquie en Méditerranée orientale et en mer Egée », affirmant sa « pleine solidarité avec Chypre et la Grèce ».

Les Turcs ont une lecture opposée. « Tous les pays garants reconnaissent que les Chypriotes turcs ont des droits sur ces richesses. La partie chypriote grecque agit de façon inacceptable en niant ces droits. Pour eux, négocier la part des Chypriotes turcs sur les réserves gazières offshore équivaut sans doute à reconnaître la partie turque de Chypre en tant qu’Etat », affirme M. Çavusoglu. « Une solution pourrait être négociée avec l’aide [de l’UE]. Mais que fait-elle ? Au lieu de convaincre la partie chypriote grecque de reconnaître les droits des Turcs de l’île, elle n’est que critiques vis-à-vis de la Turquie. »