« Croc-Blanc » : Jack London reprend des couleurs
« Croc-Blanc » : Jack London reprend des couleurs
Par Thomas Sotinel
Première adaptation animée du classique de l’écrivain américain, le film d’Alexandre Espigares se distingue par son exigence plastique et son scénario habile.
Les animaux ne parlent pas, n’ont pas la texture d’un artefact signé Jeff Koons, et les paysages – plutôt que d’avoir été générés par des algorithmes diaboliques – donnent l’impression d’avoir été dessinés puis peints. Bref, cette adaptation de Croc-Blanc, la première à recourir à l’animation, se distingue aussi nettement de la meute des produits destinés à la jeunesse que le bâtard de loup et de chienne imaginé par Jack London du reste des chiens de traîneau.
La première partie de ce premier long-métrage d’Alexandre Espigares (Oscar du court-métrage d’animation en 2013 pour le remarquable M. Hublot) procure un perpétuel étonnement. La situation n’a pourtant rien d’exceptionnel : une femelle élève son petit dans une nature sauvage. Mais le parti pris de ne pas infliger le langage des humains aux animaux, la palette étonnamment nuancée et la texture des images qui renvoie sans cesse à l’acte de peindre – quand bien même certaines d’entre elles sont d’origine numérique –, donne à cette succession de saynètes une fraîcheur que l’on croyait morte avec la maman de Bambi.
Le prologue, qui montre Croc-Blanc, adulte, aux mains d’un sinistre individu qui le force à affronter d’autres chiens, a pourtant averti. Jack London s’intéressait d’abord à la capacité de corruption de la société humaine sur ses membres et sur les espèces qui l’entourent. Le film peut se lire aussi comme une descente aux enfers. Après avoir quitté son eden boréal (l’histoire est située pendant la ruée vers l’or du Klondike, dans les dernières années du XIXe siècle), Croc-Blanc est d’abord domestiqué par des Amérindiens avant de tomber sous la coupe de Beauty Smith, organisateur de combats canins.
Plaisir rare
Le volet humain du récit emporte moins l’adhésion. Si les méchants prennent des allures cauchemardesques (et l’on pourra se demander, au sujet de Beauty Smith, s’il est bien convenable d’enseigner aux enfants que difformité physique et perversité morale vont de pair), les gentils, nobles sauvages et pionniers vertueux ont le physique insipide de tous leurs prédécesseurs du cinéma d’animation, du prince charmant de Blanche Neige à Pocahontas.
Ces défauts restent véniels si on les met en rapport avec le plaisir rare que procure Croc-Blanc. Il offre l’occasion d’aller au cinéma avec un(e) très jeune spectateur/trice en sortant de l’habituel dilemme qui oblige à choisir entre les films à deux niveaux, l’un naïf pour les enfants, l’autre plein de références humoristiques à l’usage des parents, ou des productions qui prennent les enfants pour de parfaits benêts. Cette fois, quel que soit le tarif dont on bénéficie, d’enfant à senior, on aura vu le même film.
CROC-BLANC - Bande-annonce
Durée : 01:46
Film d’animation français et luxembourgeois d’Alexandre Espigares (1 h 25). Sur le Web : crocblanc-lefilm.com