« Marie Madeleine » : un apocryphe du XXIe siècle
« Marie Madeleine » : un apocryphe du XXIe siècle
Par Thomas Sotinel
Garth Davis propose une spéculation féministe autour du personnage de Marie de Magdala, extrapolant à partir des évangiles canoniques.
Spéculation féministe autour des évangiles, Marie Madeleine est pour l’instant privée de sortie en salle aux Etats-Unis, où le film devait être distribué par la Weinstein Company, aujourd’hui en faillite. La sainte paie ainsi pour les péchés d’Harvey, preuve, s’il en fallait encore une, que « le royaume n’est pas de ce monde ». Cette circonstance ajoute encore à l’étrangeté de ce projet, dans lequel on retrouve aussi bien les traces des efforts de Pasolini pour donner un visage cinématographique aux textes sacrés que les figures les plus sulpiciennes de la tradition hollywoodienne. Ces aspirations contradictoires – la rigueur et le pathos – empêchent le film de s’élever jusqu’aux hauteurs auxquelles il aspire.
Selon Helen Edmundson et Philippa Goslett, les scénaristes, Marie de Magdala (Rooney Mara) était sur le point de fâcher son père (Tchéky Karyo) et son frère (Denis Ménochet) tant elle mettait de mauvaise volonté à choisir un époux, au moment où Jésus de Nazareth (Joaquin Phoenix) fit un détour par son village des bords du lac de Tibériade, accompagné des apôtres Pierre (Chiwetel Ejiofor) et Judas (Tahar Rahim). Le récit fait des efforts presque surhumains pour concilier les éléments présents dans les évangiles (l’exorcisme de Marie Madeleine par le Christ, son compagnonnage avec Marie) et la thèse ici avancée, qui se fonde en partie sur certains textes apocryphes : le christianisme primitif était une affaire de femmes qui fut confisquée par des mâles, au premier rang desquels Pierre.
On laissera le fond de l’affaire aux théologiens, mais on est forcé – en tant que spectateur – de constater que cette position enferme Garth Davis dans un dilemme insoluble, l’imagination étant toujours contrainte par le respect témoigné, en dernière instance, aux textes canoniques, ce respect devant lui-même s’accommoder des lois du spectacle. Ce qui a pour effet d’entraver le développement des personnages, quels que soient les efforts des acteurs (de ce point de vue, Tahar Rahim et son Judas bipolaire, qui passe de l’exaltation révolutionnaire au défaitisme abject, s’en tire mieux que d’autres).
Hétérogénéité de la distribution
On aura remarqué l’hétérogénéité de la distribution, qui parle anglais avec une belle diversité d’accents, à l’exception des deux rôles principaux. Rooney Mara, incisive, opaque, comme à son habitude, se permet de suggérer toutes les dimensions de l’attraction qu’exerce Jésus sur Marie Madeleine. Le messie de Joaquin Phoenix est à mi-chemin entre la star du rock alternatif (quel fardeau que la popularité) et le mutant qui n’est pas seulement humain, une combinaison qui ne trouve pas toujours de sens. La diversité des origines des acteurs qui interprètent les apôtres n’est jamais mise en œuvre, apparaissant comme un parti pris sympathique dont le metteur en scène n’a su que faire.
Le scénario situe la rencontre entre la sainte et le messie quelques semaines avant la passion. Celle-ci prend possession du film (qui évite heureusement les excès sanguinolents de la lecture qu’en fit Mel Gibson), révélant ainsi ses faiblesses. Malgré les efforts des costumiers et des décorateurs (lin tissé grossièrement et paysages de la Basilicate, comme dans L’Evangile selon saint Mathieu, de Pasolini), il ne s’agit plus que de réciter une histoire qui a déjà défait la plupart des réalisateurs qui l’ont affrontée.
Marie Madeleine / Bande-Annonce Officielle 2 VOST [Au cinéma le 28 mars]
Durée : 01:12
Film britannique et américain de Garth Davis. Avec Rooney Mara, Joaquin Phoenix, Chiwetel Ejiofor, Tahar Rahim (2 heures). Sur le Web : fr.universalpictures.ch/mary-magdalene et www.marymagdalenefilm.co.uk