Trois jours après l’incendie à Kemerovo, la colère sur place et à Moscou s’intensifie
Trois jours après l’incendie à Kemerovo, la colère sur place et à Moscou s’intensifie
Par Intérim
Le bilan, encore provisoire, est de 64 morts, dont 41 enfants. Dans la ville sibérienne comme dans la capitale, la population dénonce la corruption et le laxisme des autorités.
Les Russes déposent des fleurs et des peluches en mémoire des enfants tués dans l’incendie, le 28 mars, à Moscou. / Pavel Golovkin / AP
Face à la colère, Vladimir Poutine a promis des sanctions. Mais, en plein deuil national, trois jours après le tragique incendie à Kemerovo, le chef du Kremlin se retrouve au cœur des critiques.
La cité minière de Sibérie a commencé à enterrer ses morts, dont 41 enfants parmi les 64 personnes officiellement décédées dimanche 25 mars dans les flammes du Zimnaia Vishnia (« cerise d’hiver »), principal centre commercial de la ville. Le feu aurait été provoqué par un court-circuit, mais l’ampleur du bilan s’explique par l’effarante série de dysfonctionnements de la sécurité. Des groupes d’enfants se sont notamment retrouvés prisonniers de salles aux portes fermées à clé, alors que le système d’alarme était en panne. Les hommes en charge de la sécurité ont été parmi les premiers à fuir et les services de secours ont tardé à intervenir.
« Nous n’oublierons pas », promettent les affiches déposées sur les mémoriaux organisés à Kemerovo, Moscou et dans tout le pays. Alors que les autorités voulaient limiter la période de recueillement à la ville sibérienne, elles ont été contraintes de déclarer ce mercredi jour de deuil national. Une minute de silence a été observée. Les drapeaux étaient en berne, les programmes de divertissement annulés et les publicités sur les principaux panneaux électroniques remplacées par des images de bougies. Les mairies ont aussi installé des stands officiels de recueillement, avec musique funéraire et encadrement policier. A Moscou, le long de la muraille du Kremlin, des individus et de nombreux groupes bien encadrés ont ainsi défilé toute la journée pour déposer fleurs et peluches.
Les pancartes aux mots durs et directs
« Mais la vraie peine et la vraie colère, elles sont ici ! », confie au Monde Natacha, jeune grand-mère rencontrée sur la place Pouchkine, dans le centre de la capitale. C’est ici au pied de la statue du poète que, spontanément, des centaines de Moscovites se rassemblent depuis deux jours pour un mémorial improvisé. Au milieu des jouets et fleurs posés en mémoire des enfants carbonisés, les pancartes révèlent l’ampleur de la colère. Avec des mots durs et directs — « les pots-de-vin tuent les enfants », « nous ne pardonnerons pas le pouvoir pour sa négligence et nous avoir trompés »…
Est visé Aman Tuleyev, le gouverneur de Kemerovo, vétéran parmi les responsables régionaux au service du Kremlin de Vladimir Poutine. Il a refusé de se rendre sur les lieux du drame, officiellement pour que son cortège ne dérange pas les secours. Puis il a semblé rejeter les critiques sur son administration, au cœur pourtant de la corruption qui a permis aux gérants et commerçants du centre commercial de contourner pendant cinq ans les règles de sécurité. « Démission ! », « criminels ! », « vérité ! », ont crié les manifestants à Kemerovo. Mais Aman Tuleyev n’est jamais venu à leur rencontre et, au contraire, s’en est pris aux « opposants » venus « faire leur publicité sur le dos de la tragédie ».
Mardi 27 mars, dans les décombres du Zimnaia Vishnia, le principal centre commercial de la ville de Kemerovo. / AP
De passage à Kemerovo, mardi, Vladimir Poutine a réclamé des sanctions contre les responsables de ce qu’il a qualifié de « négligence criminelle ». Mais il a pareillement évité la foule en colère. Le ton est monté. « Vova et Aman, en prison », a même affirmé une pancarte brandie par un manifestant sur la place principale de Kemerovo, en référence aux surnoms de Vladimir Poutine et du gouverneur. Le Kremlin a fait savoir qu’il n’avait pas l’intention de remercier Aman Tuleyev qui, jusqu’à présent, s’est contenté de destituer deux hauts responsables locaux.
Autorités accusées de minimiser le bilan
« Le problème est bien plus large ! C’est tout le système de corruption et de laxisme qui est en cause. Il s’est développé sous Poutine pendant ses dix-huit ans au pouvoir », fulmine une femme au pied de la statue Pouchkine, à Moscou. « A Kemerovo, les responsables du centre commercial ont dû pas mal distribuer de pots-de-vin pour éviter les contrôles et continuer à gagner de l’argent au détriment de la sécurité. Ce problème est général à toute la Russie… », prévient un homme d’affaires venu, lui aussi, se recueillir devant le matelas de fleurs improvisé de la place Pouchkine et non devant le Kremlin où la foule se rassemble sans un mot de protestation.
« Ce drame, juste après la réélection de Poutine, va le poursuivre comme d’autres tragédies par le passé », insiste une mère de famille, dans une allusion au naufrage du sous-marin Koursk, en 2000 (118 marins morts), et à la prise d’otages de l’école de Beslan, en 2004 (334 morts dont 186 enfants).
Comme lors de ces précédents drames, les autorités sont accusées non seulement d’avoir fui leurs responsabilités, mais aussi de minimiser le bilan. A Kemerovo, malgré l’engagement de la mairie d’ouvrir les morgues, de nombreux habitants assurent que les morts se comptent par centaines. Ces évaluations font le tour du Web. Mais Vladimir Poutine, qui a exigé une enquête « totalement objective et transparente » puis ordonné des inspections dans tous les centres commerciaux du pays, a dénoncé des « tentatives de semer la panique » sur Internet. Un sabotage mené, a-t-il insisté, depuis… l’étranger.