Après des années de tests, la version commerciale de « Shroud of the Avatar » est sortie le 27 mars 2018. / Portalarium

Ready Player One, de Steven Spielberg, en salles depuis mercredi 28 mars, met en scène James Halliday, créateur génial et mégalo d’un monde virtuel qui, avant de mourir, cache au cœur de sa création un œuf de Pâques métaphorique. Charge à ses habitants, chaussés de leurs casques de réalité virtuelle, de le retrouver.

L’auteur du roman original, Ernest Cline, n’en a jamais fait mystère : James Halliday, c’est une version romancée de Richard Garriott, créateur flamboyant et visionnaire bien connu pour la série de jeux de rôle Ultima, et notamment pour Ultima Online (1997). Ce jeu de rôle massivement multijoueurs en ligne (MMORPG, en anglais), se déroulant dans un vaste monde persistant dans lequel des milliers de joueurs peuvent se rencontrer et interagir, a clairement inspiré, des années plus tard, l’Oasis, le monde virtuel créé par James Halliday dans Ready Player One.

Vingt ans après, Richard Garriott a donné une suite spirituelle à Ultima Online. Baptisée Shroud of the Avatar, elle est officiellement disponible sur PC, Mac et Linux depuis mardi 27 mars. A cette occasion, Pixels a pu interviewer celui que ses fans appellent encore « Lord British ».

Richard Garriott, créateur de la série « Ultima » et source d’inspiration de l’auteur de « Ready Player One ». / Portalarium

Les « Ultima » ont été parmi les premiers jeux à simuler un monde. C’est un peu le fantasme ultime d’un développeur de jeux ?

Richard Garriott : C’est exact. Même mes tout premiers jeux étaient des tentatives artisanales de créer de véritables réalités alternatives, en simulant tous les aspects possibles d’un monde. C’est à peu près à l’époque d’Ultima IV, en 1985, que j’ai vraiment tenté pour la première fois de créer un monde vivant, avec ses aspects éthiques et sociaux.

Plutôt que vers les MMORPG à la Ultima Online, il faut aujourd’hui plutôt se tourner vers des expériences solo pour retrouver ces vastes simulations de monde, comme le dernier The Legend of Zelda : Breath of the Wild ou la série Grand Theft Auto…

Depuis que les ordinateurs existent, les gens ont essayé de les brancher ensemble et de créer des expériences partagées. Nous avions conçu Ultima Online pour qu’il arrive en même temps que le World Wide Web. Nous savions que c’était le moment où l’Internet deviendrait un service incontournable, qui connecterait les gens à travers le monde, et nous permettrait de créer ce qui allait devenir le MMORPG.

Aujourd’hui les jeux en ligne les plus populaires sont de « simples » jeux de tir comme PlayerUnknown’s Battlegrounds ou de stratégie comme League of Legends. Est-ce que le futur peut vraiment appartenir à un jeu comme l’Oasis de Ready Player One ?

Il faudra des années avant de voir émerger ne serait-ce qu’un ersatz de réalité virtuelle équivalente à l’Oasis, mais on en prend clairement la direction. Développer une simulation de réalité complexe, comme Shroud of the Avatar, reste un exercice très difficile. Et puis, il faut encore prouver que ces simulations bacs à sable peuvent être plus rentables que des jeux façon « parc à thèmes » à la World of Warcraft. Les bacs à sable avec des niveaux de simulation complexes vont probablement rester rares.

Sorti en 1997, « Ultima Underworld » a révolutionné le jeu vidéo. Il reste aujourd’hui pratiqué par une poignée d’acharnés. / Electronic Arts

Vous devez savoir que le personnage de James Halliday, le créateur de l’Oasis, est basé sur vous ?

Je suis devenu ami avec Ernie [Cline, l’auteur du roman originel paru en 2011] peu après qu’il eut écrit son livre, et il m’a dit que j’avais largement inspiré le personnage principal. Du coup, évidemment, j’ai depuis exploré en détail son œuvre. J’étais assis à côté de lui et de sa famille lors de la première du film au festival SXSW, en présence de Steven Spielberg et de l’équipe. C’était incroyable ! Le film a réussi à capturer la puissance du livre, et pousse même certains concepts plus loin.

Dans le film, les personnages se plongent dans cette simulation grâce à des casques de réalité virtuelle. Quel est votre avis sur cette technologie ?

Je suis à la fois un grand fan et un sceptique. J’ai acheté et testé la plupart des casques depuis l’époque de l’Apple II, dans les années 1980. Les premiers casques proposaient un champ de vision de la taille d’un timbre-poste, et souffrait d’un décalage qui vous rendait immédiatement malade. Le matériel d’aujourd’hui est bien, bien meilleur. Mais il y a toujours besoin d’un PC puissant pour le faire tourner, d’une pièce remplie de capteurs, et d’un matériel hors de prix à enfiler… Et malgré tout cela rend toujours malade, et, en général, on n’y voit pas ses mains – ou alors elles ressemblent à des bâtons plutôt qu’aux instruments de haute précision qu’elles sont en réalité. Ce sont deux énormes freins à leur adoption par le public ; ce que confirment les chiffres de vente.

Il y a trente ans, j’ai dit qu’on aurait la technologie nécessaire pour créer des réalités virtuelles à la façon de l’Oasis sous une décennie. Malheureusement, je dirais aujourd’hui qu’il faudra encore attendre dix ans avant que ça n’arrive. Mais un jour, bientôt, nous construirons l’Oasis !

Lors d’une conférence, Ernest Cline vous a décrit comme une véritable rock star. L’industrie du jeu vidéo est-elle devenue trop sage ?

J’ai eu la chance de commencer alors que les jeux sur ordinateur n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Nous n’étions pas nombreux à l’époque, et encore moins à être toujours dans l’industrie aujourd’hui. Quand j’ai commencé, une personne pouvait s’occuper de tous les aspects d’un jeu. J’étais programmeur, concepteur, scénariste, artiste, musicien… A l’époque, on connaissait le nom des gens qui faisaient les choses qu’on aimait. Donc, oui, je suis devenu une des quelques icônes connues de l’industrie.

Aujourd’hui, les équipes comptent souvent des milliers d’employés. Les entreprises préfèrent que leurs développeurs ne deviennent pas « célèbres », parce qu’ils risqueraient de claquer la porte. Mais si, aujourd’hui, on cite beaucoup mon nom, la plus grande partie du mérite revient à mon incroyable équipe. Starr Long, qui a produit et réalisé Ultima Online, produit aujourd’hui Shroud of the Avatar, et il y a dans notre équipe des collègues de plus de vingt ans. Produire un monde virtuel aussi ambitieux et profond que l’Oasis exigerait une équipe dévouée et des ressources significatives ! J’espère que nous serons un jour en position de faire de la vision d’Ernie [Cline] une réalité. A suivre.