Casa 93 veut mettre les études de mode à la portée de tous
Casa 93 veut mettre les études de mode à la portée de tous
Par Béatrice Madeline
Sur un modèle expérimenté au Brésil, cette école de mode associative et gratuite, installée à Saint-Ouen, veut ouvrir le monde de la mode à « ceux qui n’entrent pas dans les cases ».
Pour Njeri, Missbah, Mohammed, Sandy, Tio et huit autres garçons et filles, ce début d’année ne sera pas comme les autres. Ces treize jeunes gens, dont la plupart ont grandi en Seine-Saint-Denis, vont se former aux métiers de la création au sein de la Casa 93, une école de mode pas comme les autres, ouverte en priorité aux jeunes issus des quartiers « politique de la ville », âgés de 18 à 25 ans, sans condition de diplôme.
Njeri, Missbah, Mohammed, Sandy, Tio et huit autres garçons et filles, dont la plupart ont grandi en Seine-Saint-Denis, vont se former aux métiers de la création au sein de la Casa 93, une école de mode ouverte en priorité aux jeunes issus des quartiers « politique de la ville », âgés de 18 à 25 ans, sans condition de diplôme / Virginie Nomis
Une innovation sociale et pédagogique, due à l’infatigable Nadine Gonzalez, ancienne professionnelle de la mode elle-même, soucieuse d’ouvrir ce milieu « hyperélitiste » à des publics divers. La Casa 93 est la « petite sœur » européenne de la Casa Geraçao, créée en 2013 par Nadine Gonzalez dans les favelas de Rio, au Brésil. Avec des résultats probants : 5 promotions de 20 élèves chacune ont été formées, 80 jeunes ont trouvé un emploi en lien avec la mode, une dizaine de collections ont été créées… La volonté de Nadine Gonzalez est désormais de « répliquer ce modèle à l’international ».
Pourquoi ce choix de la France et de la Seine-Saint-Denis pour une première implantation à l’étranger ? D’abord des ressemblances entre les deux pays en termes de système éducatif : « Une faible valorisation du potentiel créatif des jeunes, un système peu adapté aux jeunes éloignés de l’emploi, des écoles de mode trop chères », énumère Nadine Gonzalez. Quant au département de la Seine-Saint-Denis, il a été choisi car c’est « le plus métissé et le plus jeune de France, avec également le plus faible taux de scolarisation ». Et ce alors qu’il s’agit, dit-elle, « du poumon créatif de l’Ile-de-France ».
« Ecoles privées trop chères »
De fait, parmi les « élus » de la Casa 93, peu auraient pu intégrer une école de stylisme classique, compte tenu de leur parcours scolaire ou de leurs moyens financiers. Missbah, qui adore « coudre, broder, créer », a décroché un bac techniques de vente. De toute façon, « les écoles privées coûtent trop cher » pour sa famille, dit-elle. Sa voisine, Lina, qui rêve de lancer sa propre marque de vêtements, suit un cursus de mode dans un lycée du département, sachant que cela ne la mènera sans doute pas dans les grandes maisons. Mais elle est résignée : « Si on habite dans le 93, c’est qu’on ne peut pas se payer autre chose qu’une école du 93… »
Quant à Mohammed, le seul qui n’ait pas grandi en région parisienne, il sort d’une section sports-études et affirme que « personne ne l’a jamais vu dessiner ». Avec un tel parcours, inimaginable pour ce jeune footballeur professionnel d’être admis dans une école de stylisme afin de pouvoir lancer la ligne de streetwear qui lui trotte dans la tête.
Pour intégrer la Casa 93, pas besoin d’un « book » élaboré ou d’un parcours d’excellence. Les critères de sélection n’ont rien à voir avec les compétences purement scolaires : passion pour la mode, créativité, talent et motivation sont attendus au rendez-vous. Une « approche alternative » qui a séduit Gloria, dont le rêve est de travailler dans la mode après un BTS de communication. Mais pour elle, impossible de « poursuivre dans un cursus super scolaire, parce que c’est pas du tout [s]on truc ».
Création d’une collection collective
Ces 13 futurs « modeux » ont été sélectionnés sur une vingtaine de postulants, qui ont bénéficié d’octobre à novembre d’un cycle préparatoire d’une durée de quarante heures au total, à raison de quatre heures par semaine le samedi matin. Des « workshops », des ateliers de développement personnel et créatif, ont permis à chacun d’affiner son projet personnel, de vérifier sa motivation et de travailler ses talents d’expression écrite et orale en vue de la deuxième étape de sélection.
Début décembre ont eu lieu les entretiens collectifs pour retenir les jeunes bénéficiaires de la formation de six mois (de janvier à juin 2018), articulée cette fois autour de trois pôles : création (analyse des tendances, stylisme, « moodboard »…), image (communication, marketing digital, identité visuelle…) et savoir-faire technique de modélisme (coupe, couture…). Un programme complété de cours d’anglais de la mode. En parallèle, l’objectif est de créer une collection collective qui sera présentée pendant la fashion week à la profession, début mars.
Les jeunes ont également l’opportunité de participer à des initiatives extérieures à l’école, l’occasion de mettre en pratique les compétences acquises au sein des différents pôles. Enfin, une phase de trois mois d’insertion professionnelle est prévue au dernier trimestre 2018.
Trouver des financements
Actuellement hébergée dans une salle de 65 m² au Mob Hotel de Saint-Ouen, un lieu branché réunissant restaurant-bar, cinéma, jardin et animations, la Casa 93, sous statut associatif, se heurte au problème du financement. Même si la plupart des professionnels interviennent bénévolement, et que pour cette première année, les élèves bénéficient d’une gratuité totale. Le département a versé une subvention de 8 000 euros et des discussions sont en cours auprès de Plaine Commune (intercommunalité de Saint-Ouen) dans le cadre du projet de politique de la ville.
Pour le reste, « notre seule carte pour avoir de l’argent, c’est le privé », note Nadine Gonzalez. Les entreprises, les organisations professionnelles ou même les particuliers ont la possibilité de financer des bourses pour aider à financer la scolarité des étudiants. Xavier Clergerie, organisateur de salons de mode et mécène de créateurs, parraine ainsi trois jeunes. La Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM) apporte aussi sa contribution.
En 2018, un partenariat se dessine avec l’Institut français de la mode (IFM) et l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne (ECSCP), qui conduirait notamment à proposer une bourse au major de la promotion de la Casa 93, en lui permettant de participer à la Summer School de l’IFM, à Paris.