SNCF : quatre leaders syndicaux à la manœuvre
SNCF : quatre leaders syndicaux à la manœuvre
Par Philippe Jacqué, Éric Béziat
La grève à la SNCF débute lundi soir à l’appel des syndicats CGT, UNSA, CFDT et SUD-Rail.
Le mouvement de grève à la SNCF débute lundi 2 avril à partir de 19 heures. Il court jusqu’à jeudi 5 avril à 8 heures, pour l’appel déposé par la CGT, l’UNSA et la CFDT, SUD-Rail ayant, pour sa part, appelé à une grève illimitée reconductible par vingt-quatre heures, à partir de lundi soir. Tour d’horizon des quatre principaux acteurs syndicaux qui sont à la manœuvre.
Laurent Brun (CGT Cheminots)
Laurent Brun (à droite), au côté de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, le 22 mars 2018. / Francois Mori / AP
Secrétaire général de la CGT Cheminots depuis janvier 2017, Laurent Brun se retrouve, à 38 ans, confronté à la plus vaste réforme de l’histoire de la SNCF. Sans surprise, celui qui dirige le premier syndicat du groupe ferroviaire (34,33 % des voix aux élections professionnelles) se pose en gardien du temple cheminot. « Je ne serai pas celui qui enterrera le statut », a-t-il prévenu.
Ce Lyonnais aux passions éclectiques (la charcuterie, le jardinage, l’informatique) a intégré la SNCF en 2000, comme « agent de mouvement », c’est-à-dire conducteur sur les manœuvres en gare. Tout un symbole pour celui qui veut mettre dans la rue le peuple cheminot, contre « la casse du ferroviaire ».
Un inflexible face à la détermination du gouvernement ? Ses collègues des autres syndicats confirment. « Il est raide », dit l’un d’eux. « C’est le visage juvénile du stalinisme », envoie un autre. De fait, M. Brun et son équipe ont décidé de politiser le débat. « Sa cible, ce sont les réformes de Macron, note l’un des principaux acteurs de la négociation. Il est sur la ligne [Philippe] Martinez à 100 % : faire converger les revendications des cheminots et des fonctionnaires. »
Dans son collimateur, les projets du gouvernement, bien sûr, mais aussi la méthode : « Je déteste que l’on me prenne pour un imbécile, grogne-t-il. On nous consulte, on nous demande de contribuer. Puis, quand on regarde le rapport Spinetta ou le Pacte ferroviaire d’Edouard Philippe, absolument rien n’est repris. »
Un mécontentement que ce grand jeune homme célibataire aux cravates écarlates sent monter dans l’entreprise : « Les projets du gouvernement ont fonctionné comme un électrochoc sur un corps social abîmé par plusieurs années de gestion libérale de la SNCF. On est en train de passer du fatalisme à la colère. »
Roger Dillenseger (UNSA-Ferroviaire)
Roger Dillenseger, UNSA Cheminots. / BERTRAND LANGLOIS / AFP
Tout a commencé en 1982 sur la liaison Obernai-Sélestat, en Alsace. Alors que la direction de la SNCF envisage de fermer sa ligne, le jeune agent de circulation Roger Dillenseger se syndique pour mener le combat. « Si on avait écouté les décisionnaires de l’époque, cette liaison n’existerait plus, or elle a aujourd’hui dix fois plus de trains et cent fois plus de voyageurs qu’à la fin des années 1990 », confie-t-il.
Trente-quatre ans plus tard, celui qui est passé par la CFTC devient secrétaire général de l’UNSA Ferroviaire, le deuxième syndicat de l’entreprise avec 23,86 % des voix aux élections professionnelles. Syndicaliste à plein-temps depuis 1995, l’apparatchik, jugé par l’un de ses pairs à la fois « calme, réfléchi et recherchant toujours le consensus », est l’un des personnages clés de l’épreuve de force qui s’ouvre à la SNCF.
Habituelle alliée du gouvernement, la réformiste UNSA montre d’ores et déjà les muscles, car « la pression du corps social monte, assure M. Dillenseger. Nous avons des adhésions spontanées depuis le début de l’année. C’est la première fois que je vois ça dans ma carrière ! »
Mais M. Dillenseger devra jouer finement, car son organisation « est paralysée par ses luttes intestines, entre gauche et droite, modernistes et conservateurs, cadres et non-cadres… », rappelle un observateur.
Erik Meyer (SUD-Rail)
Eric Meyer, SUD Rail, le 15 mars 2018. / BENOIT TESSIER / REUTERS
Erik Meyer a envie d’en découdre. « Le gouvernement ne lâchera pas », dit le secrétaire fédéral de SUD-Rail et négociateur en chef du troisième syndicat de la SNCF (avec 16,83 % des voix aux élections professionnelles).
« Il est dans sa posture habituelle, constate l’un de ses homologues syndicalistes. Celle de la politisation à outrance. » « Il s’agit d’un jeu de rivalité avec la CGT », ajoute l’un des négociateurs de la réforme.
Entré en 1998 comme conducteur dans la branche fret, Erik Meyer, 44 ans et Lyonnais comme Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT-Cheminots, ne nie pas mettre en avant une analyse politique de la situation. « Emmanuel Macron veut liquider les corps intermédiaires, explique-t-il. Même les syndicats réformistes – CFDT, UNSA – ne sont plus écoutés. »
M. Meyer, qui n’a pas de mots assez durs pour fustiger le management de la SNCF, prédit un retour de bâton. « Il y avait très longtemps qu’on n’avait pas vu une telle unité syndicale. Les cadres qui, habituellement, remplacent les conducteurs en cas de grève n’iront pas cette fois-ci. »
Didier Aubert (CFDT-Cheminots)
Didier Aubert, CFDT Cheminots / JACQUES DEMARTHON / AFP
« Cash », « facile d’approche »… Didier Aubert, le patron de la CFDT Cheminots, tranche dans la maison cédétiste, habituellement plus guindée. Avec sa gouaille et son accent belfortain, ce petit-fils de cheminot et fils d’un syndicaliste de « l’Alsthom », comme il le dit encore, a passé quarante ans dans la Grande Maison, soit la moitié de la vie de la SNCF !
Surtout, c’est un fort en gueule qui « peut vite monter dans les tours, comme le confie un de ses collègues, mais il redescend aussi vite ! » Sa force, savoir mener ses troupes en toute indépendance. « Son prédécesseur avait l’habitude de suivre un peu aveuglément la CGT. Lui, il entend conserver l’autonomie de la CFDT et pouvoir quitter une intersyndicale s’il peut obtenir quelque chose par la négociation », confirme un syndicaliste.
Dans le milieu syndical, ce fin stratège n’a pas que des amis. « On ne peut pas lui faire confiance », grince-t-on dans les centrales rivales. « Il pourrait jouer sa propre partition », reconnaît un bon connaisseur de l’entreprise, qui nuance aussitôt : « Il cherche à tirer son épingle du jeu en faisant jouer à la CFDT, quatrième organisation syndicale (15,15 % des voix), un rôle dans la mise en place de la réforme plus éminent que sa place dans la hiérarchie syndicale. »
Notre sélection d’articles pour comprendre la réforme de la SNCF
Retrouvez les publications du Monde.fr concernant le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire » présenté par le gouvernement, et ses conséquences :
- La synthèse pour tout comprendre à la réforme en 9 points
- le contenu du projet de loi sur la réforme de la SNCF
- les explications : que signifie l’ouverture de la SNCF à la concurrence ?
- les détails du calendrier des perturbations
- en données : effectif, statut, rémunération, trois questions sur les cheminots
- le récit : comment s’est déroulée l’harmonisation des statuts à Orange comme à La Poste
- le panorama (en édition abonnés) : comment l’ouverture du rail à la concurrence s’est faite en Europe
- les explications en cinq points sur la dette de la SNCF
- l’état des lieux sur la retraite des cheminots, un régime spécial déficitaire