Documentaire sur Arte à 22 h 25

Jules et Jim - François Truffaut
Durée : 02:35

Grande bourgeoise à la dérive », « actrice transgressive », étonnante par la variété de ses rôles et « l’étrangeté de son jeu », Jeanne Moreau ne fut peut-être pas, comme l’affirme aussi le documentaire qui lui est consacré, « la dernière grande star du XXe siècle ». Mais elle reste, par ses rôles au théâtre – où elle commença – et au cinéma, une éblouissante icône.

Pour ce qui est de son physique, Julien Duvivier disait : « Zéro ! » Elle l’entendit, mais pas de cette oreille. Et se vengea de la manière la plus flamboyante en faisant un atout royalement distinctif de cette « bouche tombante » et de cette mine de trois pieds de long qu’elle arborait si souvent avant que François Truffaut ne la rende légère dans Jules et Jim (1962).

Le récit de Virginie Linhardt, dans son documentaire Jeanne Moreau, l’affranchie (2017), est essentiellement biographique et linéaire – même s’il ne commence pas par l’évocation de la jeunesse difficile de l’actrice, qui se crut longtemps responsable de l’échec du mariage de ses parents. Il est aussi un peu lisse et manque d’enquête, de témoignages autres que ceux trouvés dans des archives de la télévision. Ses ­proches ont-ils refusé de témoigner ? Le leur a-t-on demandé ?

Nombreuses omissions

Beaucoup de trous aussi dans ce récit qui se concentre sûrement trop sur ses débuts et ne parle pas assez du dernier tiers de sa carrière et de son extraordinaire variété d’emplois (Moreau dit oui à Jean-Pierre Mocky comme à Wim Wenders, à Fassbinder comme à l’humoriste Alex Lutz, avec lequel elle tourne son dernier long-métrage, Le Talent de mes amis (2015).

Il n’est dit mot de son travail de documentariste et de réalisatrice de films, Lumière (1975) notamment, dont Jacques de Baroncelli, dans Le Monde, faisait un compte -rendu mitigé – au moment de sa sortie au Festival de Cannes. Avait-on peur d’évoquer des réalisations qui n’étaient peut-être pas des réussites ? Mais on eût aimé connaître le regard d’une réalisatrice sur une autre réalisatrice et un retour critique sur cette part un peu oubliée de sa carrière.

Si sa relation amicale avec Marguerite Duras est évoquée (ainsi que l’incarnation stupéfiante qu’elle fit de cette dernière dans le film Cet amour-là, de Josée Dayan, en 2002), il n’est pas raconté à quel point cette femme intelligente et cultivée, à qui son père interdisait de lire, avait une passion pour la littérature et les auteurs.

Jeanne Moreau dans un amour de sorcière en 1997 / StudioCanal / Dominique Le Strat

Une séquence moins longue à propos de sa relation avec le couturier « notoirement homosexuel » Pierre Cardin aurait peut-être permis de rappeler que Jeanne Moreau fut très liée à Paul Léautaud, André Gide, Jean Genet, Blaise Cendrars, Tennessee Williams et Henry Miller. Le film n’évoque pas non plus la fin de vie pénible de l’actrice. Jusqu’à un âge avancé, elle parut fréquemment sur les plateaux de télévision, son visage affichant crânement les signes de l’âge. Et puis on ne la vit plus du tout. Puis elle mourut, très affaiblie et « se sentant abandonnée », ainsi qu’en témoignera Jean-Pierre Mocky, le 31 juillet 2017.

Ce dévidage des épisodes d’une vie finit par ressembler à une fiche Wikipedia, très lacunaire, abondamment illustrée de documents d’archives. Une tendance à la facilité qu’on voit de plus en plus hélas ! – et pas seulement dans le domaine du documentaire – sur une chaîne dont l’exigence présumée baisse trop souvent la garde.

Jeanne Moreau, l’affranchie, écrit et réalisé par Virginie Linhardt (Fr., 2017, 54 min).