Paroles de cheminots : « Je vais perdre 60 euros par jour de grève, j’ai prévenu mon banquier »
Paroles de cheminots : « Je vais perdre 60 euros par jour de grève, j’ai prévenu mon banquier »
Par Cécile Bouanchaud
A l’occasion de la grève débutée mardi pour s’opposer à la réforme de la SNCF, « Le Monde » publie une série de portraits. Elodie Couturier est vendeuse.
Elodie Couturier ( à droite), lors d’un rassemblement de personnel de la SNCF de la région Nouvelle Aquitaine, mercredi 28 février 2018. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Le matin, lorsqu’elle se rend au travail à pied, Elodie Couturier aime prendre en photo sa petite gare de Châtelaillon (Charente-Maritime), « tant que je peux encore le faire, tant qu’elle existe encore ». Une gare qui ressemble à toutes celles des petites villes de France, avec son pavillon central, son allée bordée d’arbres, sa grosse pendule analogique et sa modeste place où peuvent stationner des véhicules.
Comme toutes les petites gares, sa création, en 1873, a marqué l’essor de la ville, faisant de Châtelaillon la première station balnéaire du département. Comme toutes les petites gares, « celle-ci pourrait bien fermer un jour », craint Elodie Couturier, qui travaille dans cette station aux sonorités estivales depuis 2016, à la suite d’une création temporaire de poste.
« Je ne sais pas jusqu’à quand court mon contrat, je suis en sursis depuis un an, sans savoir de quoi sera fait l’avenir. »
Après quatre ans de travail de saison, c’est en temps partiel à 61 % qu’Elodie Couturier est titularisée comme vendeuse, en 2003. « Une pratique courante à la SNCF, qui peut durer trois ans maximum », détaille la cheminote, qui gagnait à l’époque 600 euros net par mois, primes comprises.
Service majoritairement externalisé
A 38 ans aujourd’hui, elle se souvient de cette époque où la vente par téléphone s’ajoutait à son travail de vente en gare. Si ce service de renseignements existe encore dans quelques gares, comme celle de Limoges, il a été majoritairement externalisé à des entreprises privées.
« Ces employés du privé n’ont pas bénéficié de notre formation spécifique, qui nous permet d’être capables de répondre aux questions, légitimes, des usagers sur l’opacité de nos tarifs », regrette la vendeuse, qui souligne que la réforme de la SNCF, prévoyant une ouverture à la concurrence, est « déjà en cours dans de nombreux services ».
Après quelques années à Rochefort, la vendeuse est allée « de l’autre côté de la ligne », à La Rochelle, où elle travaillait « en renfort militaire », c’est-à-dire en horaires de soirée, trois dimanches sur quatre. Aujourd’hui, à Châtelaillon, elle profite d’horaires de journée, sans travailler le week-end. Mais la trentenaire tient à faire sa mise au point :
« Cette réduction de mon amplitude horaire est symptomatique de la déliquescence du service public et se fait au détriment des usagers. »
« Une volonté de casser le travail des guichetiers »
La cheminote voit dans cette mutation « une volonté de casser le travail des guichetiers », en développant les services sur Internet. Si elle estime qu’il est « normal de s’adapter à son époque », elle considère que les offres Internet « entrent en concurrence » avec son travail, « au lieu d’être complémentaires ». La SNCF propose sur son site des offres spéciales qui ne peuvent être faites en boutique.
Elodie Couturier y voit « un cercle vicieux » :
« Les gens se tournent sur Internet, donc on fait moins de chiffre, la SNCF supprime des postes ou réduit nos horaires à des créneaux où tout le monde travaille, et l’on fait encore moins de chiffre, etc. »
La jeune femme déplore que le contact humain soit ainsi mis à mal. « Nous sommes souvent les premiers interlocuteurs des usagers et l’on n’est pas à la noce », résume-t-elle, seule vendeuse de la gare.
Mardi 3 avril, pour protester contre la réforme, elle n’a pas ouvert « sa petite annexe d’office de tourisme », et elle compte faire grève tous les jours qui suivront. Depuis septembre 2017, la vendeuse, dont la paye mensuelle s’élève à 1 600 euros net, perçoit 8 euros de plus par mois, en vertu de la « mesure bas salaire », voulue par Guillaume Pepy, le PDG de l’entreprise. A chaque jour de grève, elle perdra 60 euros : « J’ai prévenu mon banquier, il m’a dit de l’appeler en cas de problème. »