Une cure de détox à Art Paris
Une cure de détox à Art Paris
Par Harry Bellet
Pour sa nouvelle édition, jusqu’au 8 avril au Grand Palais, la foire parisienne met à l’honneur la Suisse et s’ouvre à de nombreuses galeries venues des régions.
La foire Art Paris fête ses 20 ans au Grand Palais, jusqu’au 8 avril 2018. / ART PARIS
Il y a plusieurs sortes d’amateurs d’art : ceux qui vont dans les foires où il y a les méga-galeries et ne comprendraient pas de ne pas y trouver le stand de Larry Gagosian, et ceux qui, dans les mêmes, en ont marre de voir toujours Larry Gagosian… A ces derniers, souffrant de ce que les Anglo-Saxons nomment joliment une « fair fatigue », celle qui atteint des gens qui, après dix heures d’avion, se rendent compte qu’ils voient peu ou prou les mêmes artistes que s’ils étaient restés chez eux, on conseillera une cure d’Art Paris.
Depuis vingt ans maintenant, celle qui se posait à ses débuts en alternative à la FIAC – les mauvaises langues parlaient de « salon des refusés », ce qui n’est plus vrai, certaines grandes enseignes comme Templon, Obadia ou Loevenbruck participant désormais aux deux événements – a su trouver son rythme et son identité propre.
Ainsi, elle choisit de mettre chaque année un pays à l’honneur – la Suisse pour cette édition 2018 –, ouvre grand ses portes aux galeries de province, qui font un travail formidable loin des lumières parisiennes, et encourage à la présentation d’expositions monographiques, permettant de mieux approfondir le travail d’un artiste : ils sont 36 à avoir joué le jeu. En outre, pour marquer son vingtième anniversaire, elle a demandé au critique d’art François Piron de sélectionner vingt artistes parmi les participants, et de rédiger un texte sur chacun d’eux.
Un « regard sur la scène française »
Un « regard sur la scène française » assez intéressant par son éclectisme, puisqu’il se penche aussi bien sur le cas de Frédéric Pardo, un héros méconnu de la contre-culture des années 1970, présenté par la galerie Loevenbruck, que sur celui de Hessie, qui brode ou pratique le collage dans un registre féministe, exposé chez Arnaud Lefebvre, ou encore Blek le Rat (galerie Ange Basso), pionnier français du street art. Un même regard sur des propositions aussi différentes que celles de Jean-Pierre Raynaud chez Caroline Smulders – sans doute un des plus étonnants stands de la foire – et Roland Topor chez Vallois, Leonardo Cremonini chez T&L galerie ou Hervé di Rosa chez AD Galerie…
Cette dernière vient de Montpellier. C’est une des nombreuses enseignes de province (on en a compté 17) que les Parisiens négligent ou méconnaissent, comme celle du Lyonnais Michel Descours (qui montre le Belge Jean Raine) ou de la galerie Wagner, venue du Touquet avec l’artiste bâloise Marie-Thérèse Vacossin.
Ou encore, le Strasbourgeois Ritsch-Fisch, qui a réussi deux jolis coups sur son stand : exposer un ensemble d’A.C.M., lequel pulvérise d’antiques machines à écrire pour les transformer en architectures mouvantes, et un autre des dessins et des sculptures d’Hervé Bohnert, boulanger-pâtissier de son état, une révélation de cette foire : pas de l’art brut, mais des « memento mori » extrêmement subtils et percutants. Cultivé aussi : un de ses dessins en particulier montre qu’il a dû attentivement et librement regarder les gravures de Hans Holbein. Un grand collectionneur français a raflé presque tout le jour du vernissage.
Un ensemble drôle et désespéré
Du côté de la Suisse, pays mis à l’honneur, une douzaine de galeries ont fait le voyage, dont l’excellente Ditesheim et Maffei qui montre, notamment, un grand mobile de Tinguely, quelques petites sculptures de Germaine Richier, et un ensemble de fusains de Laurent Wolf, bien connu des lecteurs du Temps de Genève : lui n’était pas boulanger-pâtissier, mais critique d’art, et de la meilleure farine.
Mais nos amis helvètes ont aussi trouvé refuge dans des galeries parisiennes, qui les montrent pour l’occasion, comme, parmi d’autres, Gottfried Honegger et André Stempfel chez Lahumière, Le Corbusier chez Zlotowski associé à Eric Mouchet ou Gérard Thalmann chez Pascal Gabert. Ne pas manquer non plus le programme vidéo, vingt-cinq artistes, toutes des femmes : l’occasion pour la commissaire de l’exposition, Karine Tissot, de rappeler que, dans son pays, le droit de vote ne leur a été concédé qu’en 1971, au moment précisément où débute cette forme d’expression. Ce sont également des artistes suisses dont les œuvres numériques sont projetées, de 20 h 30 à minuit, sur la façade du Grand Palais.
Enfin, quelques projets spéciaux, l’un lié au pays invité, puisqu’il présente un fragment des collections de l’assureur Helvetia, d’autres pas, comme les grands formats d’Erro réunis par la galerie Ernst Hilger de Vienne, avec le soutien du Musée de Reykjavik, une curiosité avec le stand de Misk Art Institute de Ryad, en Arabie Saoudite, et notre chouchou, l’ensemble drôle et désespéré de tableaux d’Oscar Rabine, Russe de Paris, qui n’avait pu rentrer dans son pays qu’après la Perestroïka. Nonagénaire, toujours vaillant, mais lucide comme l’était son ami le poète Vsevolod Nekrassov : l’œuvre centrale de cet ensemble est intitulée Gare Père Lachaise, terminal.
Art Paris, Grand Palais, avenue Winston Churchill, Paris 8e. Jusqu’au 8 avril. A partir de 11 h 30, jusqu’à 21 heures le vendredi 6 avril, 20 heures le samedi 7 avril, 19 heures le dimanche 8 avril. Entrée : 25 €. www.artparis.com