Carnage chimique dans la Ghouta orientale
Carnage chimique dans la Ghouta orientale
Par Gilles Paris (Washington, correspondant), Marc Semo, Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Paris et Washington promettent une « réponse forte », mais nient avoir frappé une base militaire syrienne.
A Douma, dans la banlieue de Damas, après l’attaque chimique présumée, dimanche 8 avril. / CASQUES BLANCS SYRIENS/AP
Plusieurs missiles ont frappé, lundi 9 avril à l’aube, l’aéroport militaire syrien de Tiyas, situé entre Homs et Palmyre, au surlendemain d’une attaque chimique présumée contre le bastion rebelle de Douma, en banlieue de Damas.
Cette base aérienne, appelée « T4 », qui est l’une des plus importantes du pays, est aussi utilisée par la force Al-Qods, l’unité d’élite des gardiens de la révolution iraniens, déployée en Syrie, ainsi que par des militaires russes. Elle avait été l’une des cibles des raids de représailles de l’aviation israélienne, en février, après que l’un de ses F16 a été abattu au-dessus de la Syrie. Au moins 14 combattants, dont des Iraniens, auraient été tués selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Cette opération survient trente-six heures après la mort de dizaines d’habitants de Douma, dans ce que les ONG de l’opposition syrienne implantée sur place présentent comme une attaque chimique du régime Assad. Si le président Donald Trump a promis dans un Tweet, dimanche, de faire payer cette hécatombe au « prix fort », le Pentagone a nié toute implication dans l’attaque de la base. La France, qui sous la présidence d’Emmanuel Macron a fait de l’emploi d’arme chimique en Syrie une « ligne rouge », a démenti aussi tout rôle dans ce bombardement. A ce stade, l’hypothèse la plus probable est celle d’une opération de l’armée israélienne.
Il n’en reste pas moins que le carnage de Douma, avec son cortège d’images de femmes et d’enfants manifestement asphyxiés, met aussi bien Washington que Paris sous pression. Emmanuel Macron et Donald Trump se sont entretenus dimanche soir afin, selon la présidence française, de « coordonner leurs actions et leurs initiatives au sein du Conseil de sécurité des Nations unies », qui doit se réunir en urgence lundi après-midi à New York. Ils sont convenus de la nécessité d’une « réponse forte », a fait savoir la Maison blanche. « De nombreux morts, y compris des femmes et des enfants, dans une attaque CHIMIQUE insensée en Syrie », avait tweeté dimanche M. Trump, qui a pointé du doigt la « responsabilité » de la Russie et de l’Iran, qualifiant M. Assad d’« animal ».
Les Etats-Unis pris de court
Aucune enquête n’a pu être menée pour l’instant pour déterminer avec précision le type d’agent chimique employé à Douma. Les symptômes observés sur les victimes, dont le nombre oscille selon les sources entre une cinquantaine et plus de cent, incitent les médecins présents sur place à penser qu’il s’agit d’un mélange de chlore et de neurotoxique, possiblement le sarin. Cette substance, hautement létale, a déjà été utilisée par l’armée syrienne en août 2013 contre la Ghouta, la banlieue de Damas, dont Douma est le principal centre urbain (plusieurs centaines de morts) et en avril 2017 contre Khan Cheikhoun, une localité du nord (85 morts).
A la suite de cette attaque, Donald Trump avait rompu avec la politique de son prédécesseur démocrate Barack Obama – qui avait renoncé à la dernière minute à répondre militairement au bombardement de la Ghouta –, en faisant tirer, en guise de représailles, 59 missiles de croisière contre la base aérienne d’Al-Chaayrate, dans le centre de la Syrie. Aujourd’hui, la virulence de sa réaction sur Twitter semble placer de nouveau le locataire de la Maison Blanche dans la quasi-obligation d’agir.
Si le président « ne tire pas les conséquences et s’il ne répond pas aux attentes créées par ce Tweet, il aura l’air faible aux yeux de la Russie et de l’Iran », a prévenu sur la chaîne ABC le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham. Le bombardement de Douma prend cependant la présidence américaine de court. Il intervient quelques jours après que Donald Trump a exprimé son souhait de retirer « très vite » les troupes américaines déployées dans le nord-est du pays. « Il est temps, avait-il ajouté. Notre première mission était de nous débarrasser [de l’organisation Etat islamique]. Nous y sommes presque parvenus. »
« De la mousse s’échappait de leur bouche »
Le président français a déclaré que la France serait prête à mener seule une opération en Syrie en cas d’usage d’armes chimiques par le régime Assad. Cela n’avait pas empêché le régime de continuer à mener des attaques au chlore – dont la possession n’est pas interdite, même si son emploi militaire l’est – comme arme tactique pour semer la panique. Peu meurtrières, elles n’ont suscité que peu de réactions. Paris, entre-temps, a peu à peu changé ses éléments de langages, évoquant « un emploi avéré, létal, et dont on peut déterminer la provenance ».
L’ONG médicale SAMS (Syrian American Medical Society), qui compte de nombreux docteurs et infirmiers à Douma, a recensé samedi, en fin de journée, près de 500 cas de suffocation. Les patients présentaient des symptômes d’« exposition à un agent chimique », selon l’organisation, comme des difficultés respiratoires, un ralentissement du rythme cardiaque et des brûlures de la cornée. « De la mousse s’échappait de leur bouche et ils dégageaient une odeur semblable à celle du chlore », affirme un communiqué de SAMS.
Parmi ces patients, six sont morts, selon SAMS, dont une femme atteinte de convulsions et d’un rétrécissement des pupilles, des symptômes associés à l’usage de sarin. Samedi, plus tard dans la soirée, des secouristes ont découvert 42 personnes mortes dans leurs habitations. Les vidéos tournées sur place, montrant des cadavres sans blessure, figés dans leur sommeil pour certains, gisant dans un escalier ou un appartement pour d’autres, laissent supposer que leur mort a été foudroyante. « Les symptômes rapportés indiquent que les victimes ont été asphyxiées par un produit chimique toxique, très probablement un agent organophosphoré », affirme SAMS. Le gaz sarin appartient à cette catégorie.
Dernier fief rebelle
La presse officielle syrienne a accusé les insurgés de diffuser des fausses informations pour tenter de ralentir la progression des forces gouvernementales. L’armée russe a elle aussi rejeté les accusations de l’opposition. Douma est la dernière ville de la Ghouta orientale, une zone en périphérie de la capitale syrienne, à ne pas avoir été reconquise par les troupes gouvernementales.
Celles-ci mènent dans cette région une violente offensive, lancée à la mi-février, qui a causé la mort de 1 600 civils et débouché sur la reddition de milliers de rebelles, transférés, avec leurs familles, vers le nord de la Syrie. Le groupe salafiste Jaïch Al-Islam, le dernier groupe rebelle encore présent dans la Ghouta orientale, retranché à Douma et qui contrôle la ville, a rejeté jusque-là les offres d’évacuation de la Russie, alliée du régime syrien. Ce qui a conduit l’armée syrienne à reprendre ses bombardements, vendredi, après une dizaine de jours d’accalmie.
Pourquoi les armes chimiques choquent-elles plus que les autres ?