« Enfants de la Creuse » : « Il fallait apporter une réponse à cette douleur », juge Annick Girardin
« Enfants de la Creuse » : « Il fallait apporter une réponse à cette douleur », juge Annick Girardin
Propos recueillis par Patrick Roger
La ministre des outre-mer s’est vu remettre un rapport de la commission qui enquêtait sur les 2 015 mineurs déplacés de La Réunion en métropole entre 1962 et 1984.
La ministre des outre-mer, Annick Girardin, le 20 mars 2018 à l’Assemblée nationale. / ALAIN JOCARD / AFP
La ministre des outre-mer, Annick Girardin, a reçu, mardi 10 avril, le rapport de la commission d’information et de recherche historique présidée par le sociologue Philippe Vitale sur les « enfants de la Creuse », 2 015 mineurs transplantés de La Réunion en métropole entre 1962 et 1984.
Quelles leçons tirez-vous de ce rapport ?
C’est une terrible histoire. Ce rapport permet de mettre des mots sur cette histoire et à ces enfants réunionnais, aujourd’hui devenus adultes, de mieux connaître leur histoire. Avec les préjudices que cela a pu causer. Il faut reconnaître la douleur, il faut reconnaître les responsabilités de ce système de l’époque, notamment en ce qui concerne l’aide sociale à l’enfance, il faut reconnaître la faute, comme le président de la République l’a fait. C’est-à-dire de ne pas avoir pris conscience des conséquences de cet éloignement, de ce déracinement.
La mobilisation des associations a mis en lumière non seulement les cas de ces 2 015 enfants réunionnais transplantés de 1962 à 1984, mais aussi les problématiques pour d’autres enfants ultramarins, pour d’autres enfants de l’Hexagone, du fait du mode de fonctionnement de l’ASE dans ces années-là. Ce combat, de fait, a ouvert d’autres questionnements.
Quelles réponses allez-vous y apporter ?
Le gouvernement a eu par le passé la volonté d’accompagner le parcours de ceux qui veulent se réapproprier leur histoire, avec ce que cela a de douloureux. Aujourd’hui, sur ces 2 015 personnes, 150 sont connues. Un certain nombre de dispositions ont déjà été mises en place, qui doivent être renforcées et pérennisées. Parce que ce parcours de recherche nécessite un accompagnement, à la fois par la prise en charge des voyages et l’accompagnement sur place, de sorte que nous ayons un lien, du début jusqu’à la fin, avec les personnes qui vont effectuer ce parcours de recherche.
Dans le prolongement de ce rapport et grâce à la médiatisation qui en sera faite, les personnes qui souhaitent mieux connaître leur histoire pourront, d’abord, savoir si elles figurent bien parmi les 2 015 enfants répertoriés par la commission et, elles aussi, bénéficier de cet accompagnement. C’est la première fois qu’un travail historique de cette nature est réalisé. Nous allons ouvrir sur le site du ministère une page spécifique où chaque personne qui pense être concernée pourra faire une demande et obtenir une réponse. Si tel est le cas, elle pourra alors avoir accès à son dossier. La liste, bien entendu, restera totalement confidentielle ; seule la personne saura si elle y figure bien.
Emmanuel Macron a évoqué à propos de cette histoire une « faute ». Estimez-vous, comme l’Assemblée nationale l’a fait dans une résolution adoptée en 2014, qu’il y a une « responsabilité morale de l’Etat » ?
Le président de la République a estimé, très précisément, que « cette politique était une faute car elle a aggravé dans bien des cas la détresse des enfants qu’elle souhaitait aider ». Il faut toujours se méfier de regarder l’histoire avec nos yeux d’aujourd’hui. Là où l’Etat a une responsabilité, c’est de n’avoir pas pris la mesure de ce que cela allait provoquer chez ces mineurs, parce qu’ils venaient de loin, parce qu’ils avaient une autre couleur, une autre culture. La prise de conscience des conséquences a été tardive, trop tardive.
Le rapport, lui, évoque à propos de cette politique une « utopie dangereuse », en ce sens que le déplacement de ces enfants obéissait à la fois à une logique de repeuplement des campagnes en déficit démographique et de frein à la démographie galopante, selon l’expression couramment utilisée, dans ce département d’outre-mer.
Rappelons-nous les conditions de misère dans lesquelles une grande partie des populations d’outre-mer vivaient à ce moment-là et l’absence de dispositifs adaptés, alors, pour l’enfance en danger. Tout cela n’excuse pas, ne justifie pas. C’est pour cela qu’il fallait apporter une réponse à cette douleur, à ces questionnements. C’est ce que fait ce rapport. Bien sûr, ce n’est pas un rapport qui va mettre fin aux souffrances vécues par certains, mais ce travail peut contribuer à les apaiser.