Le Brexit ébranle vingt années de paix en Irlande
Le Brexit ébranle vingt années de paix en Irlande
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Le 10 avril 1998 était signé l’accord du Vendredi saint. Aujourd’hui, le choix de Theresa May de sortir de l’UE implique le rétablissement de contrôles douaniers à la frontière entre les deux Irlandes devenue frontière extérieure de l’UE.
A la frontière entre les villes de Newry et Dundalk, en décembre 2017. / PAUL FAITH / AFP
Sans le Brexit, la commémoration du vingtième anniversaire de l’accord de Belfast qui a mis fin à trois décennies de guerre civile en Irlande du Nord serait probablement passée inaperçue. Après tout, l’accord de paix signé le 10 avril 1998, jour du Vendredi saint, porte bien son nom puisque la violence a quasi disparu dans cette province britannique où plus de 3 600 personnes ont trouvé la mort entre 1969 et 1998, au point que le taux de criminalité y est aujourd’hui plus faible qu’au Royaume-Uni.
Négocié sous les auspices des dirigeants britannique et américain d’alors, Tony Blair et Bill Clinton, l’accord dit du Vendredi saint a instauré le partage du pouvoir régional à Belfast entre les protestants, dont la plupart veulent rester dans le Royaume-Uni (unionistes), et les catholiques, qui s’identifient à la République d’Irlande (républicains).
Approuvé par référendum au nord comme au sud, il est le fruit d’un savant compromis : Dublin a renoncé à revendiquer l’Irlande du Nord tandis que Londres a accepté qu’un vote populaire puisse dans l’avenir mener à la réunification et donc à la perte de sa province. L’IRA et les groupes paramilitaires protestants ont été démantelés des deux côtés.
Mais la première conséquence concrète de l’accord de 1998, la suppression de la frontière militarisée qui balafrait l’île, est aujourd’hui menacée par le Brexit. Le choix de Theresa May de sortir du marché unique européen et de l’union douanière implique le rétablissement de contrôles douaniers à la frontière entre les deux Irlandes devenue frontière extérieure de l’UE.
« Défi fondamental »
Or, les postes-frontières risquent de servir de cibles aux groupuscules paramilitaires résiduels. Certes la première ministre jure qu’il n’est pas question de rétablir une frontière physique en Irlande. Mais les contrôles automatisés qu’elle promet relèvent selon l’UE de la « pensée magique » et sa proposition de faire effectuer les contrôles de l’UE par des fonctionnaires britanniques n’est pas prise au sérieux.
Quant à la solution d’un statut spécial maintenant l’Irlande du Nord dans le marché unique européen, défendue par le gouvernement de Dublin, elle ne fait que reporter la frontière en mer d’Irlande, entre l’île et la Grande-Bretagne et constitue un casus belli pour les unionistes. Des mois de négociations à Bruxelles n’ont d’ailleurs pas permis de résoudre cette équation irlandaise qui risque, au pire, de faire capoter le Brexit.
Alors que l’Irlande du nord a voté à 55,8 % pour rester dans l’UE, le Brexit imposé et négocié par Londres remet plus globalement en cause l’équilibre de la paix. L’appartenance conjointe à l’Union européenne avait permis de relativiser les questions identitaires. L’accord de 1998 permet à tous les habitants de l’île d’obtenir un passeport de la République d’Irlande et donc aux Nord-Irlandais d’acquérir la double nationalité britannique et irlandaise. Conserveront-ils ce droit après le Brexit ? Nul ne le sait.
Lundi, à la veille de la commémoration de l’anniversaire de l’accord de paix, Tony Blair a estimé que « le Brexit pose un défi fondamental au concept qui est au cœur de l’accord du Vendredi saint ». Mais au sein du gouvernement de Theresa May phagocyté par le Brexit, l’avenir de la lointaine province fait l’objet d’une extraordinaire indifférence. La question de la frontière irlandaise semble être traitée comme un simple problème de gestion de flux de camions, alors qu’elle tend de nouveau les débats sur l’identité irlandaise.