Martin Fourcade : « L’avenir dira si l’effet biathlon pendant les JO était éphémère »
Martin Fourcade : « L’avenir dira si l’effet biathlon pendant les JO était éphémère »
Propos recueillis par Clément Martel
Le quintuple champion olympique, président de la commission des athlètes pour Paris 2024, a répondu aux questions des internautes du « Monde ».
Martin Fourcade dans les locaux du « Monde », vendredi 13 avril. / Vassili Feodoroff / Le Monde
Un peu plus d’un mois après sa moisson de médailles en terre coréenne, quelques semaines après avoir conclu sa saison sur un nouveau Gros Globe (sa septième victoire au classement général de la Coupe du monde), Martin Fourcade est venu dans les locaux du Monde répondre aux questions de nos lecteurs.
Quentin : Bonjour Martin. D’abord, félicitations pour vos incroyables résultats cette saison. Ensuite, après avoir remporté le classement général pour la septième fois de suite, qu’est-ce qui vous motive encore ? Quel but vous fixez-vous pour les deux prochaines saisons ?
Martin Fourcade : Merci ! Comme sur les quatre dernières saisons, je n’ai pas vraiment d’objectifs sportifs définis. Je suis plus sur une démarche de performance et de perfectionnement.
Kyr : Quelles questions essentielles t’es-tu posées pour atteindre ce niveau de concentration ?
Martin Fourcade : Le sport de haut niveau est une passion et avant tout un plaisir. Cependant il comporte aussi son lot de sacrifices, et je me sers souvent de cela comme moteur pour dépasser mes craintes et peurs.
Cécile : On vous a beaucoup vu prendre position sur des sujets « politiques » cette année, comme le dopage. Est-ce que vous investir dans des instances sportives comme le CIO ou autre fait partie de vos souhaits à moyen terme ?
Martin Fourcade : La politique, pour faire avancer les sujets de société liés au sport, qui me passionne, je ne suis pas contre. A l’inverse, je ne ferai jamais de politique plus partisane.
En m’investissant auprès de Paris 2024, je dépasse déjà uniquement le terrain de sport, pour permettre d’avancer au mieux sur ce sujet de société.
Coustong : Martin, comment envisagez-vous de travailler pour que les JO de Paris puissent être ceux de toute la France et pas seulement d’une seule ville sur le plan sportif ?
Martin Fourcade : Nous voulons que les Jeux de Paris 2024 aillent beaucoup plus loin que quinze jours de célébration pour les athlètes en août 2024. Paris 2024 doit être un accélérateur sur un ensemble de sujets sociétaux et à ce titre, Paris 2024 concerne beaucoup plus qu’uniquement la métropole parisienne. Sur un sujet plus léger, nous voulons que ces Jeux soient une vitrine de la France et une fête populaire partagée de Paris à Marseille, mais aussi et surtout sur l’ensemble du territoire.
Corruption : « C’est une terrible nouvelle pour notre sport »
DiMarion : Vous qui êtes un des éléments moteur de la lutte contre le dopage dans le biathlon mondial, que pensez-vous de l’histoire de corruption de l’IBU en lien avec le système de dopage organisé en Russie ?
Martin Fourcade : Je dois dire que je suis très surpris par l’ampleur des révélations du Monde. Il est compliqué pour moi de prendre radicalement position tant que l’enquête n’est pas terminée. Si ces révélations sont confirmées, c’est une terrible nouvelle pour notre sport, mais qui pose aussi des questions plus larges sur la gouvernance en matière de lutte contre le dopage.
Martin Five (bientôt Six) cade : Ironie des dernières révélations, le dernier titre olympique que tu vas obtenir pourrait être… le premier (Vancouver). Si cela venait à être confirmé, penses-tu qu’avoir eu ce titre en tant normal aurait touché ta carrière d’une manière différente ?
Martin Fourcade : Je suis vice-champion olympique à Vancouver. Cela fait partie de mon parcours et de mon histoire. Je ne sais pas si j’aurais réussi tous les défis relevés par la suite si j’avais décroché l’or à Vancouver. Je ne sais pas si je serais toujours en activité aujourd’hui. Je suis médaille d’argent et j’en suis extrêmement fier. Je n’échangerais pour rien au monde la couleur de ma médaille et les émotions vécues ce jour-là.
J’espère qu’Oustiougov perdra son titre si cette histoire est vraie. Je ne serais par contre pas plus heureux avec l’or.
Antoine D : Bonjour Martin, j’ai entendu que tes pulsations cardiaques étaient de 30-31 au repos, c’est inné ou acquis ? C’est ça le succès de ta réussite !! :+)
Martin Fourcade : il y a une grande partie d’inné. Mon cœur a toujours battu doucement. Cependant, la pratique d’un sport d’endurance fait baisser le rythme cardiaque (hors effort). Il va falloir que je pense à ralentir l’entraînement si je ne veux pas qu’il s’arrête
Ceretan : Bonjour Martin, tu as été un magnifique porte-drapeau français aux Jeux olympiques de PyeongChang. Mais un second drapeau est toujours présent sur le bord du parcours à chacune de tes courses : un drapeau catalan, de ta région d’origine. Pourrais-tu nous en dire plus sur ton attachement à la Catalogne ? Comment vis-tu les événements qui affectent cette région aujourd’hui ?
Martin Fourcade : j’ai grandi en Catalogne et ma famille y est toujours. Je suis très chauvin et extrêmement fier de ma région et de mes origines. Cependant expatrié dans les Alpes depuis plus de quinze ans, je ne me sens pas pertinent pour aborder les sujets d’identité tels qu’ils peuvent poser problème actuellement. La Catalogne a de nombreuses particularités. Et en ce sens je comprends les indépendantistes. Cependant, une de mes maximes est de rassembler et de vivre tous ensemble en acceptant nos différences. Et à ce titre l’indépendance ne me satisfait pas.
Elsa, 17 ans : Bonjour Martin, bravo pour ta saison, tu es rentré dans la légende du sport, j’ai lu ton livre et je suis admirative de ton parcours. J’aimerais savoir si tu penses que Johanes Boe peut encore évoluer ou s’il atteint ou est proche de ses capacités maximales ? Merci
Martin Fourcade : Merci. J’espère que le livre t’a plu. Concernant Johannes, il est déjà très bon, et a un niveau rarement atteint en biathlon. Je pense qu’il a bien sûr une marge de progression, comme je pense en avoir une. Cependant, Johannes n’a plus 20 ans, et n’est plus l’espoir qu’il était en 2014 après son éclosion sur la Coupe du monde du Grand Bornand. Il est depuis devenu un athlète accompli et sa marge de progression est donc réduite.
Yoann : Si vous arrivez à concilier votre vie de famille et votre carrière sportive, pensez-vous poursuivre votre carrière après les Jeux de Pékin ? M. Bjoernalen a remporté 95 victoires. Vous en êtes à 74. Pourriez-vous (pour nous) dépasser ce record avant de prendre votre retraite ?
Martin Fourcade : Je m’engage pour l’instant sur un projet sportif de deux ans, et Pékin me paraît aujourd’hui trop loin. Cependant je ne ferme pas la porte, car si je prends toujours autant de plaisir dans deux ans et que toutes les conditions sont réunies, pourquoi ne pas tenter ce dernier défi ! La vie de famille est, en effet, une de ces très nombreuses conditions qui aujourd’hui ne sont pas réunies pour rallier Pékin.
Mathématiquement, sur mes performances des deux dernières saisons, cela paraît atteignable. Cependant, répéter ce niveau de performance sur les deux prochaines saisons serait immense. Le sport n’est pas les mathématiques. Bjoerndalen a remporté 92 victoires sur ses seize premières années de carrière, et n’en a remporté que deux depuis les JO de Vancouver (2010).
Benjcambridge : Mon fils de 9 ans vous admire beaucoup : il aimerait savoir à quel âge vous avez commencé ; ce qui vous a attiré dans le biathlon et comment vous vous entraînez en été pour préparer la saison ? (Nous habitons dans le sud de l’Angleterre ; ou la neige est très très rare…)
Martin Fourcade : Je crois qu’il n’y a pas d’âge pour commencer une activité, même si je dois vous accorder qu’il est un peu tard de commencer à 40 ans si on veut devenir champion olympique de biathlon 😉
L’été, nous faisons beaucoup de ski à roulettes, de course à pied, vélo et musculation, pour préparer notre saison d’hiver. Il y a une équipe britannique de biathlon, et actuellement un des meilleurs fondeurs au monde est britannique (Andrew Musgrave).
Thibaut : Ces dernières années avec l’exposition dont bénéficie le biathlon sur des chaînes en claires, on note que la renommée des biathlètes en France est de plus en plus importante. Les Français sont toujours plus nombreux à suivre les épreuves de coupe du monde. Avez-vous ressenti cette nouvelle popularité depuis trois ans ? Pensez-vous que le développement des sports passe forcement par un accès public aux compétitions vitrines ?
Martin Fourcade : Les Jeux de Sotchi ont donné une visibilité importante au biathlon et permis qu’il soit diffusé en clair (la chaîne L’Equipe) depuis. L’effet biathlon a été très fort pendant Pyeongchang et j’ai vraiment ressenti cet effet depuis la Corée du Sud comme depuis mon retour en France. L’avenir dira si cet élan était éphémère, mais il s’agit d’une superbe exposition pour notre discipline. Je suis persuadé que l’étape en France du Grand Bornand est aussi une vitrine nécessaire pour permettre à notre sport de prendre une place importante.
Compleja : Comment on fait pour rester aussi engagé et présent sur les réseaux sociaux avec la vie que tu mènes ?
Martin Fourcade : C’est un bon moyen d’être connecté au monde qui m’entoure. De partager aussi cette aventure. C’est surtout un plaisir. J’essaie de passer au-delà du « trash-talking ». Le plus dur aujourd’hui est de faire des photos d’aussi bonne qualité qu’avant alors que je n’ai plus que quelques minutes pour les prendre. 😉
On est en place au @lemonde_sport @lemondefr pour répondre à vos questions ! https://t.co/ZmpfsmgrvI
— martinfkde (@Martin Fourcade)