Des centaines de milliers de Hongrois dans la rue pour « défendre la démocratie »
Des centaines de milliers de Hongrois dans la rue pour « défendre la démocratie »
Par Blaise Gauquelin (Budapest, envoyé spécial)
La première manifestation après la réélection du souverainiste Viktor Orban a fait l’objet d’une adhésion massive.
Les manifestants rassemblés samedi 14 avril devant le parlement hongrois, à Budapest / ATTILA KISBENEDEK / AFP
C’est l’autre Hongrie, celle qui n’a pas voté Viktor Orban. Selon les organisateurs, environ 100 000 personnes sont descendues dans les rues de Budapest pour dénoncer, dans la soirée du 14 avril, la réélection du souverainiste Viktor Orban. Il s’agit de l’une des manifestations les plus importantes de ces dernières années, dans ce pays d’Europe centrale comptant 9,8 millions d’habitants.
« Viktator, fous le camp ! », « Nous sommes la majorité » : cette foule jeune et bigarrée a scandé, dans une ambiance très printanière, des slogans hostiles à la majorité, largement reconduite le 8 avril dernier avec 49,9 % des suffrages et qui a obtenu les deux tiers des sièges au parlement, grâce à un système électoral favorisant le parti arrivé en tête.
Les personnes présentes ont réclamé un second décompte des bulletins de vote et une nouvelle loi électorale, pointant des fraudes. Elles ont défendu la liberté des médias, dans un pays pourtant membre de l’Union européenne depuis 2004.
Des panneaux ont dénoncé la corruption et la « mafia du Fidesz » – du nom du parti du premier ministre. Les manifestants ont incité les chefs de file de l’opposition à mettre de côté leurs différends pour permettre un rassemblement. La colère et la frustration étaient palpables dans le cortège.
« La Hongrie a besoin de plus de démocratie », estime Aron Demeter, d’Amnesty International. Comme 199 autres personnalités issues de la société civile, ce militant associatif a été placé cette semaine par un hebdomadaire appartenant à une proche du gouvernement sur la liste des « spéculateurs » du milliardaire juif américain d’origine hongroise George Soros. « Il s’agit d’une tentative d’intimidation car nous aidons les demandeurs d’asile. Mais nous n’avons pas peur et nous continuerons nos activités dans ce pays, tant que cela reste possible ». Dès le mois de mai, le gouvernement entend faire passer une nouvelle loi rendant encore plus difficile le travail des ONG.
La presse hongroise peu à peu muselée
Zsolt Havasi, lui, distribue le dernier numéro de Magyar Nemzet. Appartenant à un oligarque opposé à Viktor Orban, ce quotidien a mis la clé sous la porte au lendemain des élections, asphyxié économiquement. « Maintenant, je vais me reposer », ironise le journaliste sportif au chômage, sous un immense drapeau réclamant l’aide de l’Union européenne. « Mais plus sérieusement, je pense qu’on doit pouvoir laisser s’exprimer les oppositions normalement, non ? »
Ce rédacteur fait référence à l’absence de pluralisme devenu criant en Hongrie, alors que le service public d’information s’est mué en agence de propagande et que les médias privés sont rachetés les uns après les autres par des proches du pouvoir. « Mon pays n’est plus une démocratie », renchérit Eszter Kaiser, une styliste ayant vécu vingt-huit ans en Suisse romande.
« C’est une dictature maintenant : il n’y a plus de liberté de la presse, les gens commencent à avoir peur de dire ce qu’ils pensent, comme à l’époque du communisme. Le futur n’est pas très positif ici pour mon fils qui a 14 ans. Il y a du racisme, l’ambiance est pesante, les gens sont désespérés. Surtout les jeunes qui partent en masse. Et cela arrange Viktor Orban, si ceux qui réfléchissent, qui veulent voir le monde et qui sont ouverts quittent la Hongrie. »
Peter – qui préfère ne pas donner son nom de famille – est un maçon qui a travaillé quatre ans en Provence. Il dit être devenu hostile à Viktor Orban, après cette expérience à l’étranger. « C’est faux ce que disent les médias du gouvernement sur la France où l’on ne pourrait plus bien profiter de la vie à cause des immigrés. Moi je peux vous dire que j’envie les Français, qui peuvent vivre décemment de leur travail ! On manipule les gens dans ce pays. »
Viktor Orban n’a pas encore officiellement commenté cette manifestation. Des rassemblements de soutien ont également eu lieu à Paris, Londres, Bruxelles et Berlin. Un second défilé est prévu samedi prochain à Budapest.