Ce qu’il faut retenir du débat à l’Assemblée nationale sur les frappes en Syrie
Ce qu’il faut retenir du débat à l’Assemblée nationale sur les frappes en Syrie
Les députés de l’opposition se sont fait l’écho des nombreuses critiques entendues durant le week-end, dénonçant une intervention « hors cadre légal international ».
Syrie : "Cette intervention n’est pas le prélude d’une guerre", insiste Edouard Philippe à l'Assemblée nationale
Durée : 01:39
Aucune union n’a soudé les parlementaires français au sujet des frappes conjointes en Syrie de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, samedi 14 avril. Lors de deux débats simultanés – et sans vote –, à l’Assemblée nationale et au Sénat, lundi, les deux hémicycles se sont fait l’écho des nombreuses critiques entendues durant le week-end, face à des représentants de la majorité et du gouvernement, qui ont assumé l’intervention militaire.
A l’Assemblée nationale, dans la droite ligne du président de la République, le premier ministre, Edouard Philippe, a défendu, dans une ambiance tendue, une intervention « justifiée » et « soigneusement proportionnée », conçue pour « éviter toute escalade ». « Nous ne sommes pas entrés en guerre contre la Syrie ou Bachar Al-Assad, a-t-il d’emblée précisé. Notre ennemi n’est pas la Syrie, notre ennemi, c’est Daech [acronyme arabe du groupe Etat islamique]. »
Mais « notre président avait fixé une ligne rouge dès le début de son mandat », a rappelé Edouard Philippe, estimant que l’utilisation de l’arme chimique était une « une stratégie de terreur délibérée et répétée » de la part du régime syrien. Selon lui, le message est clair : « Aucune solution politique ne sera trouvée tant que l’utilisation de l’arme chimique restera impunie. »
Pour la majorité, la « France agit pour une Syrie libre »
L’intervention du premier ministre a logiquement été défendue par Richard Ferrand, président du groupe La République en marche (LRM) ainsi que par les centristes du MoDem et de l’UDI.
« Il ne fait aucun doute que les trois résolutions des Nations unies adoptées à l’unanimité [sur les armes chimiques] fondent parfaitement l’action conduite », a lancé M. Ferrand, alors que l’enjeu de la légitimité de l’intervention militaire du point de vue du droit international était au cœur des débats. « Nous, nous préférons la France qui agit pour une Syrie insoumise, pour une Syrie libre », a-t-il déclaré, à l’adresse de ses adversaires politiques.
« Personne n’aime le bruit des bombes mais nous honnissons aujourd’hui encore plus les attaques chimiques. Les élucubrations de mauvaise foi n’ont pas leur place dans des circonstances aussi graves. »
Marc Fesneau, président du groupe MoDem, est allé dans son sens, déclarant que les « actions diplomatiques infructueuses, de signatures de conventions et de promesses non tenues » rendaient indispensable l’intervention militaire en représailles de l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. De même, Françoise Dumas, vice-présidente de la commission de défense, a déclaré que l’intervention était fondée sur « la résolution 21.18 du Conseil de l’ONU », mais qu’« en raison de l’opposition de la Russie, une réponse concertée était impossible ».
Franck Riester, co-président du groupe UDI-Agir-Indépendants, a balayé la critique quant à l’absence de preuves de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. « Les renseignements français ont apporté cette preuve », a-t-il assuré, en écho à Richard Ferrand. « Fermer les yeux une nouvelle fois aurait été se condamner à l’inaction, et renoncer au poids de la France dans le monde. »
Pour l’opposition, des frappes « hors du cadre légal international »
Mais pour l’opposition, aucun de ces arguments n’a convaincu. Presque d’une même voix, Christian Jacob, pour Les Républicains, Jean-Luc Mélenchon, pour La France insoumise — dont les interventions ont été applaudies par les députés frontistes —, Valérie Rabault, pour les socialistes ou encore le communiste Jean-Paul Lecoq pour la Gauche démocrate et républicaine ont fustigé une intervention menée « hors du cadre légal international » et sans débat préalable au Parlement.
« La représentation nationale a son mot à dire. En décidant seul, le président seul a franchi une ligne, et nous le regrettons », a critiqué Christian Jacob.
Mais pour l’opposition, c’est surtout l’absence de mandat de l’ONU — une « première dans l’histoire contemporaine » de la France, a souligné Valérie Rabault — qui constitue une faute indéfendable. Christian Jacob a ajouté que ces frappes ciblées avaient « isolé » la France et risquaient de n’être « que la manifestation d’une forme d’impuissance sur le fond » si le gouvernement ne clarifie pas sa vision sur ce qu’il « cherche en Syrie ».
Jean-Luc Mélenchon a également déploré l’absence « d’allié de l’Union européenne » dans cette intervention, qui incluait pourtant le Royaume-Uni, toujours membre de l’UE pour l’instant. Il s’est montré très incisif, assurant que la France n’était pas « uniquement mu [e] par le souci des droits internationaux » ; ce à quoi le premier ministre a répondu en déclarant :
« Ce que nous voulions faire, c’était bien frapper exclusivement des installations chimiques, et exclusivement des installations syriennes. C’est un message dont la motivation n’est pas la conquête territoriale, pas un intérêt économique. »
En dépit des affirmations du premier ministre, Jean-Luc Mélenchon a estimé que ces frappes constituaient « une déclaration de guerre qui n’en est pas une ». « Nous sommes intervenus sans preuves », a lancé le chef de fil des Insoumis, sous les dénégations des députés de la majorité.
Jean-Paul Lecoq (Gauche démocrate et républicaine) a également dit qu’il aurait fallu « attendre les résultats [de l’enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques] pour donner toute légitimité à une quelconque riposte ». « La lutte contre Daech ne doit en aucun cas être détournée. Notre ennemi, c’est Daech », a-t-il encore affirmé.
Le premier ministre a conclu en déclarant : « On gouverne avec une vision de la France, pas forcément consensuelle, mais nous l’assumons. » S’il a souligné « l’importance du débat », il a aussi balayé les critiques de l’opposition sur l’absence de consultation du Parlement.
« Je dois dire que j’imagine mal que la conception initiale des auteurs de la Ve République ait été de demander au Parlement un débat public avant que le président ne puisse engager une intervention armée. »