Soupçons de harcèlement à l’Opéra de Paris
Soupçons de harcèlement à l’Opéra de Paris
Le Monde.fr avec AFP
Selon un sondage interne, 76,8 % disent avoir été victimes de harcèlement moral ou avoir vu un collègue subir un tel traitement.
Les chiffres sont alarmants. Un sondage interne à l’Opéra de Paris a révélé les frustrations des danseurs de l’une des plus prestigieuses compagnies mondiales, s’en prenant de manière inédite à la directrice du ballet, Aurélie Dupont, ancienne étoile de l’Opéra.
Plus de deux ans après le brusque départ de Benjamin Millepied, cette nouvelle secousse a pour origine un document de 200 pages qui détaille les griefs à l’encontre de sa remplaçante. Sous couvert d’anonymat, 89,8 % des artistes estiment qu’ils ne « font pas l’objet d’un management de bonne qualité », 76,8 % disent avoir été victimes de harcèlement moral ou avoir vu un collègue subir un tel traitement, et 25,9 % affirment même avoir été l’objet d’un harcèlement sexuel ou en avoir été témoin.
Le sondage, dont l’Agence France-Presse (AFP) a obtenu copie, dimanche 15 avril, a été réalisé par la commission d’expression artistique, un organisme interne élu par les danseurs, qui a interrogé une centaine des 154 danseurs du ballet de l’Opéra.
« Stupéfaction »
Le directeur de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, a affirmé lundi dans une interview à l’AFP avoir « une confiance totale dans Aurélie Dupont », estimant qu’elle était « une excellente directrice de la danse ».
Insistant sur son « étonnement » à propos de la diffusion à une partie de la presse de ce document interne, il a promis qu’un dialogue sera établi pour « réfléchir calmement et comprendre ce que les danseurs veulent dire » quand ils réclament de l’écoute. « Je vais parler avec Aurélie et ma porte est toujours ouverte », a-t-il assuré.
Une centaine de danseurs, dont de nombreuses étoiles, ont fait part de leur « stupéfaction » après la diffusion du document. « La divulgation de ce questionnaire s’est faite sans le consentement des danseurs et, à aucun moment, les artistes interrogés n’ont pu concevoir que ce document serait utilisé à des fins contraires à leurs intérêts », précise le communiqué obtenu par l’AFP.
« Nous ne sommes pas des pions »
Mais au-delà des chiffres du sondage, ce sont les commentaires recueillis auprès des danseurs qui sont durs à l’égard d’Aurélie Dupont. « La directrice actuelle ne semble avoir aucune compétence en management, et aucun désir d’acquérir une telle compétence », affirme un danseur.
D’autres dénoncent une « absence criante d’accompagnement », une « méconnaissance ou refus d’écouter les aspirations de beaucoup de danseurs » et surtout un « manque de dialogue ». « Nous sommes des êtres humains, et non des pions que l’on déplace comme bon leur semble », s’indigne encore l’un d’eux.
Après le départ de Benjamin Millepied, un Français venu des Etats-Unis pour insuffler de la modernité à l’institution qui fête en 2019 ses 350 ans, la nomination d’Aurélie Dupont était censée calmer les passions.
« Tolérance zéro »
Pour M. Lissner, le caractère difficile des relations humaines a toujours caractérisé le monde du ballet en général. « Dans ce métier de la danse, il y a parfois des réflexions difficiles, sur l’aspect physique d’une danseuse, sur le fait qu’elle ait mal dansé. »
« Cela n’occulte pas la nécessité de tenir compte de ce document pour essayer de mieux comprendre (…) quand on parle de relations tendues, de harcèlement moral, on touche à des choses où les frontières sont proches », a-t-il précisé. Il a évoqué la possibilité de davantage d’entretiens professionnels entre artistes et direction pour que le danseur puisse « avoir plus ce dialogue ».
Concernant les cas de harcèlement sexuel, M. Lissner a appelé les danseurs concernés à en parler avec la direction. « S’il y a véritablement des gens qui ont subi du harcèlement sexuel dans la maison, pour moi, c’est très grave », a estimé M. Lissner.
« J’ai eu trois cas jusqu’ici [depuis 2015] et les trois cas se sont terminés par des licenciements », a-t-il assuré. « Ce n’est pas discutable pour moi, c’est tolérance zéro », mais « il faut que la personne qui a subi parle. »