« Projet Daphne » : la Commission européenne refuse d’enquêter sur l’Etat de droit à Malte
« Projet Daphne » : la Commission européenne refuse d’enquêter sur l’Etat de droit à Malte
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
D’éventuelles poursuites contre l’île dirigée par un premier ministre social-démocrate divisent les Vingt-Huit, échaudés par les procédures lancées contre le gouvernement polonais.
Devant l'entrée principale du palais de justice de La Valette à Malte, le 26 mars, lors d'une audience de comparution des assassins présumés de la journaliste Daphne Caruana Galizia. / OLIVIER LABBAN-MATTEI / M.Y.O.P POUR "LE MONDE"
La discrétion était de mise ces derniers jours à Bruxelles à la suite des révélations du « Projet Daphne », dont Le Monde est partenaire. Initié par le réseau Forbidden Stories, ce projet vise à poursuivre les enquêtes de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, assassinée le 16 octobre 2017.
Vente abusive de passeports « en or » à des non-citoyens de l’Union européenne (UE), recherche d’un éventuel mobile politique dans le meurtre de Mme Galizia, attitude de la justice maltaise ? Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, a certes eu des paroles fortes, lundi 23 avril, en salle de presse de l’institution, promettant que « tout ce que le projet Daphne révèle sera examiné par la Commission et si elle pense qu’elle peut agir elle le fera. Nous continuerons à mettre la pression sur les autorités maltaises. »
Pour l’ex-ministre néerlandais des affaires étrangères, chargé par ailleurs des relations – très tendues – avec le gouvernement polonais (ouvertement anti-Bruxelles), « nous devons savoir ce qu’il s’est passé et nous n’aurons pas peur, même s’il y a des conséquences pour les autorités maltaises. » Mais quelques jours plus tôt, le chef des porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, avait écarté l’éventuelle poursuite de Malte, plus petit Etat de l’Union, pour violation de l’Etat de droit : « Si la question est : y a t-il une infraction à l’Etat de droit à Malte ? La réponse est non. »
Pour l’heure, Malte ne fait l’objet que de deux procédures d’infraction de la part de la Commission, l’une concernant la transposition de la quatrième directive antiblanchiment de 2015 (comme 19 autres pays de l’Union). Bruxelles a par ailleurs lancé, en mars 2018, suite aux révélations des « Paradise Papers », une lettre de mise en demeure à Malte (mais aussi à Chypre et à la Grèce), concernant des soupçons de fraude à la TVA de grande ampleur dans le secteur des yachts. « Cette procédure suit son cours. Des progrès ont été réalisés mais ils ne sont pas suffisants », indique une source bruxelloise à propos de cette deuxième procédure d’infraction.
Jeux partisans
Par ailleurs, la commissaire à la justice, Vera Jourova, s’est contentée de confirmer, lundi, qu’un rapport interne portant sur ces « passeports en or », délivrés par certains Etats de l’Union à des gros investisseurs étrangers moyennant finances, serait rendu public « avant la fin de cette année ». Elle a aussi annoncé, lundi, une visite « en juin » à Malte, pour faire le point avec les autorités locales.
La Commission refuse-t-elle d’entrer dans une procédure risquée de violation de l’Etat de droit, telle celle qu’elle a lancée fin 2017 contre le gouvernement polonais, pour ne pas alimenter le sentiment anti-Bruxelles à un an des élections européennes ? Les jeux partisans, au Parlement européen, polluent également le débat sur Malte. Jusqu’à présent, le groupe des sociaux-démocrates n’a pas osé s’en prendre ouvertement au gouvernement travailliste de Joseph Muscat, le premier ministre maltais.
A l’automne 2017, les élus sociaux-démocrates s’étaient dissociés d’une résolution parlementaire sur l’Etat de droit à Malte, pourtant soutenue par tous les autres partis, y compris l’extrême gauche et les Verts. A contrario, les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), pourtant très compréhensifs à l’égard des dérives antimigrants du premier ministre hongrois Viktor Orban, ne ratent pas une occasion de condamner la situation maltaise. Celle-ci est telle qu’elle « justifie le lancement immédiat d’un dialogue sur l’Etat de droit avec les autorités maltaises », soulignait lundi Manfred Weber, le président du groupe PPE à Strasbourg.
Pour l’heure, la seule conséquence au niveau européen du « Projet Daphne », est la nomination, lundi, par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, d’un rapporteur spécial sur le meurtre de la journaliste maltaise, le néerlandais Pieter Omtzigt. Une initiative qui n’a, de fait, rien à voir avec les instances de l’Union européenne.