Des membres des Hells Angels à Port Dover, en Ontario, le 13 juillet. / GEOFF ROBINS / AFP

Le plus grand rassemblement de motards issus du crime organisé canadien s’est déroulé au vu et au su de tous, samedi 11 et dimanche 12 août au Québec. Environ 500 membres du célèbre club de motards des Hells Angels, l’une des plus grandes organisations criminelles au pays, et de clubs affiliés étaient réunis dans la petite ville de Saint-Charles-sur-Richelieu. Un important dispositif policier était en place pour surveiller l’événement de cette organisation clé du narcotrafic canadien.

Le « Canada Run », rassemblement annuel des Hells Angels du pays, organisé au Québec pour la première fois depuis dix ans, a été l’occasion pour le club de faire étalage de sa force sous le nez des autorités. Malgré une arrestation et plus de 300 constats d’infractions mineures remis par les policiers, l’événement s’est déroulé dans le calme. La présence policière était très visible, avec la mise en place de plusieurs barrages routiers, le déploiement d’un hélicoptère et même d’un véhicule blindé.

En 2009, une opération policière baptisée « SharQc » (Stratégie Hells Angels rayon Québec) avait permis l’arrestation de plus de 150 personnes et considérablement affaibli l’organisation, contraignant sa branche québécoise à se faire discrète ces dernières années. La grand-messe de cette fin de semaine est un symptôme de la résurgence des « chapitres » (branche locale du club, dans le jargon des motards) québécois des « Hells ».

« Décisions judiciaires favorables »

« C’est une démonstration de force pour toutes les entités du crime organisé qui seraient tentées de venir empiéter sur le territoire des Hells Angels, explique Guy Lapointe, directeur des communications de la Sûreté du Québec (SQ). C’est aussi une façon de narguer les autorités, ils ont bénéficié au cours des deux dernières années de décisions judiciaires favorables et ils affichent beaucoup plus leurs couleurs depuis. »

Le rassemblement est, selon l’inspecteur Lapointe, obligatoire pour les membres en règle du gang, dont les autorités estiment qu’il regroupe environ 500 personnes au Canada, dont 80 au Québec. Le dispositif policier considérable mis en place visait à assurer le maintien de l’ordre et rassembler des renseignements sur l’organisation, sa composition et sa hiérarchie.

« On pourrait affirmer que les Hells Angels sont au sommet de leur gloire en ce moment, explique le journaliste du Toronto Star Peter Edwards, qui couvre les gangs de motards canadiens depuis les années 1980. Ils sont les plus gros acteurs nationaux, installés d’un océan à l’autre, et en passe d’être implantés dans l’Arctique. La police a essayé différentes stratégies pour les neutraliser, mais ils continuent de se réinventer ; ils sont très résilients. »

« Beaucoup moins racistes qu’ils ne l’étaient »

Le club des Hells Angels, fondé en 1948 aux Etats-Unis par des vétérans de la seconde guerre mondiale, s’est implanté au Canada en absorbant un gang local québécois en 1977. Le succès de son implantation dans le pays est en partie imputable à la nature de leur organisation. Contrairement à des groupes criminels comme la mafia italienne de Montréal, leur recrutement ne repose pas sur des liens ethniques ou familiaux. « Quand on se cantonne à un groupe ethnique, on est rapidement limité, note Peter Edwards. Les motards, eux, sont beaucoup moins racistes qu’ils ne l’étaient, ce qui leur permet de travailler avec beaucoup de groupes ethniques différents. »

L’ascension des Hells Angels ne s’est pas pour autant faite sans encombres, mais au prix de guerres sanglantes avec des gangs de motards rivaux. La première, qui a opposé les Hells Angels aux Outlaws entre 1977 et 1982, a assuré la suprématie du gang au Québec. C’est cependant la « seconde guerre des motards du Québec » qui a marqué les esprits. Les Hells Angels et leurs ennemis, les Rock Machine devenus plus tard Bandidos, se sont livrés à un conflit sans merci de 1994 à 2002, causant la mort de plus de 160 personnes.

Le Québec est d’une importance stratégique pour le gang, car c’est par là que transite une part importante des stupéfiants qu’il fait entrer au Canada. Montréal est une ville portuaire et se prête naturellement à la contrebande, d’autant qu’elle est peu éloignée des grandes villes de l’Est américain dont New York, qui constitue un marché important. Selon les estimations de la SQ, les Hells Angels jouissent d’un quasi-monopole sur le trafic de drogue de la province, dont il contrôle entre 95 % et 100 %.

A l’échelle du Canada, les Hells Angels québécois sont ainsi aujourd’hui les plus puissants et les plus agressifs, d’après Peter Edwards : « Etre un Hells Angel à Montréal demande d’être un dur, mais cela veut aussi dire gagner beaucoup d’argent. » Le rassemblement de cette fin de semaine a donc une importance particulière pour l’organisation, puisqu’il se tient dans son fief historique et réaffirme sa mainmise sur un territoire central à sa stratégie.