La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Cette semaine, on se penche sur les mythes fondateurs d’Israël, sur le quotidien d’une mère seule, sur le premier film de Wes Anderson qui sort en France vingt-deux ans après son échec commercial outre-Atlantique et des images fortes de Mai 68.
TRAGÉDIE EN TROIS ACTES : « Foxtrot », de Samuel Maoz
Foxtrot | Official Trailer HD (2017)
Durée : 02:05
Depuis sa première à Tel-Aviv, le 28 août 2017, Foxtrot est poursuivi par la vindicte de la ministre israélienne de la culture, Miri Regev. La présentation du deuxième long-métrage de Samuel Maoz à la Mostra de Venise quelques jours plus tard, sa sélection pour représenter Israël aux Oscars, sa projection en ouverture du Festival du cinéma israélien de Paris en février, chacun de ces épisodes a excité l’aigreur de la ministre.
La compilation des interventions de Miri Regev pourrait avantageusement remplacer les citations de critiques de cinéma sur une colonne Morris. Elle ne s’y serait pas autrement prise si elle avait voulu démontrer que Foxtrot (dont elle convient qu’elle ne l’a jamais vu) constituait une contribution importante à la conversation nationale israélienne. De fait, Samuel Maoz a tenté de concentrer en à peine deux heures des décennies d’interrogations sur l’identité et le devenir de l’Etat juif.
Le cinéaste le fait en déployant un arsenal impressionnant : dérision, distanciation, recherche formelle qui confine au maniérisme. Cette virtuosité est souvent irritante, elle est peut-être nécessaire pour tenir en respect la force de la tragédie qui menace sans cesse d’engloutir le monde absurde dans lequel se débattent les personnages de Foxtrot. Une tragédie en trois actes, dont les articulations sont mues par un destin qui semble tirer sa force d’une infinie perversité. Thomas Sotinel
« Foxtrot », film israélien de Samuel Maoz. Avec Lior Ashkenazi, Sarah Adler, Yonatan Shiray (1 h 53).
POÈME SUR L’ENFANCE : « Milla », de Valérie Massadian
Trailer de Milla (HD)
Durée : 01:59
Milla, deuxième long-métrage de Valérie Massadian, est un poème de plus de deux heures où l’urgence sociale est traitée avec une audace esthétique, sous forme de tableaux. L’histoire est simple : Milla et Léo sont deux jeunes amants « sans toit ni loi », à peine majeurs. Ils volent de quoi manger, s’installent dans une maison inhabitée, adorent écouter le même morceau de rock. On est en bord de mer, à côté de Cherbourg, dans la Manche. Léo trouve du travail dans la pêche tandis que le ventre de Milla s’arrondit. Mais une nuit, le bateau fait naufrage… Seule et enceinte, Milla va faire face.
Il y aurait mille et une façons de mener ce récit. La réalisatrice a fait des choix : l’actrice principale, Séverine Jonckeere, n’est pas une comédienne, mais une jeune femme qui a grandi de foyer en foyer et a vécu plus ou moins ce qu’elle joue à l’écran, avec son propre fils, Ethan ; le cadrage et la lumière sont au centre du dispositif, et non les dialogues ; enfin, la fabrication du film, une coproduction franco-portugaise, s’est faite un peu en dehors du système. Découvrir Milla, c’est emprunter un jeu de piste dont on ressort le cœur ému et les idées claires. Clarisse Fabre
« Milla », film franco-portugais de Valérie Massadian. Avec Séverine Jonckeere, Luc Chessel, Ethan Jonckeere (2 h 08).
GENÈSE TEXANE D’UNE CRÉATION : « Bottle Rocket », de Wes Anderson
Bottle Rocket - Trailer - (1996)
Durée : 02:45
Il faut situer l’origine de la trajectoire exorbitante de Wes Anderson, en 1994, au Texas, avec la projection au Festival de Dallas d’un court-métrage intitulé Bottle Rocket. Interprété par une fratrie alors inconnue, les Wilson (Owen, Luke et Andrew), ce bref film fit son chemin jusqu’à Sundance, où il attira l’attention d’une productrice bienveillante, Polly Platt, collaboratrice du cinéaste James L. Brooks.
Sous le haut patronage du réalisateur de Tendres Passions (et producteur des Simpson), Wes Anderson mena à bien la transmutation de son court-métrage en un premier long-métrage qui fut un échec calamiteux aux Etats-Unis. Plus de deux décennies après, voici enfin Bottle Rocket sur les écrans français.
Le film s’ouvre sur une évasion. Anthony (Luke Wilson) séjourne dans un établissement de soins psychiatriques pour « épuisement ». Dignan (Owen Wilson) a décidé de l’aider à s’en évader, au mépris du fait qu’Anthony a été hospitalisé de son plein gré et qu’il est libre de ses mouvements. Pour ne pas contrarier celui qui est comme un frère, le patient sort par la fenêtre à l’aide de draps noués, avec l’accord du médecin-chef. La lumière que jette cette ouverture absurde sur les deux héros vaut tous les dialogues d’exposition.
Lorsque, peu après l’évasion, Dignan fait lire à Anthony un cahier sur lequel il a détaillé son plan de vie pour les soixante-quinze années à venir, on ne peut s’empêcher de penser que Wes Anderson trimballait aussi un projet millimétré qui prévoyait aussi bien sa collaboration au long cours avec Bill Murray que sa fortune critique et publique en France. T. S.
« Bottle Rocket », film américain de Wes Anderson (1996), avec Owen Wilson, Luke Wilson, James Caan (1 h 31).
SOUS HAUTE VIOLENCE : « Mai 68, la belle ouvrage », de Jean-Luc Magneron
Mai 68 la belle ouvrage Bande-annonce
Durée : 01:31
Anniversaire oblige, les résurgences cinématographiques de mai 1968 fleurissent. Inédits, recyclés, cachés, retravaillés, synthétisés, restaurés, tout fait ventre. Parmi elles – qui ne sont pas toutes dignes d’être retenues – nous avons aimé Mai 68, la belle ouvrage, un film de Jean-Luc Magneron réalisé dans le feu des événements.
L’auteur est un globe-trotteur culturel. Il filme dans les années 1960 des cérémonies rituelles ou des enquêtes sociologiques en Laponie, chez les Indiens Navajos, en Haute-Guinée, au Dahomey, au Cameroun. Il s’intéresse par ailleurs tant à la poésie arabe qu’au kung-fu. Cet esprit ouvert et insatiablement curieux plonge au sein de la mêlée de Mai-68 et en ramène des images édifiantes, qui montrent, entre jets de grenades et barricades enflammées, la brutalité des confrontations.
Ces images forment une petite partie de la matière de son film, qui est constitué pour l’essentiel de témoignages portant accusation, avec une précision difficilement réfutable, de l’utilisation délibérée et systématique des violences policières. Tel est le seul sujet du film de Jean-Luc Magneron, qui lui confère l’avantage, par rapport à beaucoup d’autres, d’un point de vue réellement documenté sur les événements. Ouvert sur une intervention télévisuelle de Charles de Gaulle, en date du 7 juin 1968, dans laquelle le président de la République se félicite du sens de la mesure des forces de police face aux manifestants, le film est une réfutation de deux heures au terme de laquelle ce propos paraît d’un éclatant cynisme.
Jacques Mandelbaum
« Mai 68, la belle ouvrage », documentaire français de Jean-Luc Magneron (1 h 57).