Mai 68 : Un pavé au creux de l’oreille
Mai 68 : Un pavé au creux de l’oreille
Par Christine Rousseau
En balade dans Paris, un documentaire sonore immersif, produit par France Culture, fait découvrir les lieux et les grands moments de Mai 68
France Culture
A mesure que s’approche la date anniversaire des 50 ans de Mai 68, la vague commémorative ne cesse d’enfler, à la télévision comme à la radio − cette dernière bénéficiant d’un petit supplément d’âme historique. Grâce à l’essor du transistor, mais aussi à un audiovisuel public muselé, la radio a été un acteur majeur des événements dans la diffusion de l’information, mais aussi comme espace de dialogue entre les leadeurs du mouvement et les représentants de l’Etat. Cinq décennies plus tard, porté par une effervescence créatrice liée au développement du podcast, ce média a toujours de beaux atouts à faire valoir. France Culture et Emmanuel Laurentin, producteur de « La Fabrique de l’Histoire » (du lundi au vendredi de 9 heures à 10 heures), l’ont bien compris : ils expérimentent, avec Mai 68 : retour au Quartier latin, une nouvelle forme de documentaire itinérant et immersif.
Inspirée du concept des audioguides, cette formidable balade géolocalisée en son binaural (en trois dimensions) propose rien de moins que de traverser le temps et l’espace pour revivre in situ, dans les lieux emblématiques, la révolte estudiantine, et, au-delà, ces quelques semaines qui ébranlèrent la France.
Faux policiers et vrais tags
Avis aux amateurs de voyages spatio-temporels : pour vous projeter au milieu des manifestations, des AG tempétueuses ou des rues encombrées de barricades, il faudra vous munir d’un smartphone, sur lequel vous téléchargerez l’application Izi Travel. Et, coiffé d’un casque – préférable aux oreillettes, afin de profiter pleinement de l’effet enveloppant et immersif du son 3D –, vous vous rendrez au 45, rue d’Ulm, à l’entrée de l’Ecole normale supérieure (ENS), haut lieu d’une « longue tradition subversive », comme le relate l’historienne Ludivine Bantigny à l’entame de cette promenade d’une heure quinze.
Quinze, c’est aussi le nombre d’étapes qui scandent, à coups de slogans, d’archives, d’extraits musicaux, de flashs info, de témoignages et d’éclairages, ce parcours aussi dense que riche, aussi instructif qu’illustratif, aussi tumultueux que chahuteur. Le son immersif produisant d’étranges effets sur l’imagination, certains sans doute se surprendront à sursauter au passage d’une mobylette, à esquiver des jets – tout aussi virtuels – de boulons et de pavés, voire à longer les murs à l’arrivée des forces de l’ordre… Sans parler de l’étrange effet de réel que procure aujourd’hui la vision des slogans et tags contre Emmanuel Macron ou celle de la présence de cars de CRS stationnés devant la Sorbonne.
Manifestation contre la réforme de l’université, le 10 avril, à Paris. / BENOIT TESSIER / REUTERS
De la rue d’Ulm, on chemine jusqu’au Théâtre de l’Odéon devant lequel on écoutera – solennellement ou pas – le général de Gaulle annoncer, le 30 mai 1968, la dissolution de l’Assemblée nationale. Tout au long de la balade, l’auditeur est guidé dans l’espace par la voix de Renaud Dalmar, le réalisateur, dont on saluera le travail de marqueterie sonore. Pour l’histoire, Emmanuel Laurentin prend le relais qui, chemin faisant, interroge les historiennes Ludivine Bantigny et Julie Pagis, d’anciens étudiants tels que Dominique Tabah, Alain Schnapp, ou encore des leadeurs comme Pierre Rousset (membre dirigeant de la Jeunesse communiste révolutionnaire), Alain Krivine (fondateur du même mouvement) et, bien sûr, Alain Geismar.
Autant de rencontres qui permettent, entre témoignages, souvenirs, anecdotes et analyses, d’appréhender ce mois de mai éruptif à tous points de vue – et de célébrer de la plus réjouissante des manières la radio.
Mai 68 : retour au Quartier Latin, d’Emmanuel Laurentin et Renaud Dalmar. Temps estimé 1 h 15. A télécharger sur IziTravel.