Spécial vins : Les chefs d’Etat de la Ve République entre raison et défense du terroir
Spécial vins : Les chefs d’Etat de la Ve République entre raison et défense du terroir
Par Laure Gasparotto
Du général de Gaulle à François Hollande, le goût des dirigeants français pour certains vins plutôt que d’autres n’a pas forcément grand-chose à voir avec leurs choix politiques.
Quand il s’agit de vin, un président de la République se doit d’utiliser toute la mesure et la diplomatie dont il est capable. Il lui faut en effet jongler entre son goût personnel, l’importance de l’économie du secteur et les conséquences de sa politique de santé publique.
Le général de Gaulle : le champagne
Alors que le général de Gaulle dirige la France, les Français boivent chaque année 160 litres de vin par personne. Posture publique oblige, le président affiche son austérité. Il n’ignore cependant pas la symbolique forte du vin pour la France : c’est lui qui crée la cave de l’Elysée, comme un relais d’ambassade.
En avril 1959, alors qu’il suit la route des vins de Bourgogne, il dit au maire de Gevrey-Chambertin : « Je ne pouvais pas m’arrêter dans votre pays sans marquer la considération particulière que j’éprouve pour l’illustration qu’il apporte à la renommée nationale. » Même s’il boit peu, le général ne dédaigne pas un petit verre de porto chez lui le soir. Il apprécie également le champagne, notamment Drappier, qui se situe à quelques kilomètres de chez lui, à Colombey-les-Deux-Eglises.
En 1990, la Maison crée même une cuvée « De Gaulle »… Le de Gaulle est également un tire-bouchon qui s’ouvre de chaque côté avec deux leviers, parce qu’il fait penser au général levant les bras, un geste familier pendant ses discours.
Georges Pompidou : le château Mouton-Rothschild
Après de Gaulle, si Pompidou n’a plus de colonies à gérer, il lui faut composer avec les nouveaux départements d’outre-mer, notamment ceux des Caraïbes. Pour des raisons diplomatiques donc, il introduit le punch antillais dans les buffets de réception de l’Elysée.
Plus gourmet que le Général, il passe néanmoins peu de temps à table, et boit avec modération aussi bien en public qu’en privé. Avec lui, la table de l’Elysée passe aux couleurs du bordeaux. Avec Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, comme premier ministre, et lui-même qui a été directeur général de la banque Rothschild, les châteaux Lafite-Rothschild, Duhart-Milon, Mouton-Rothschild et Clarke sont souvent servis à la table présidentielle.
C’est sous son impulsion que Mouton devient premier grand cru classé du Médoc, modifiant pour la première et seule fois le classement de 1855. Pompidou apprécie pourtant des vins plus modestes : des moulis, tels les Châteaux Chasse-Spleen et Poujeaux, ainsi que le cahors.
Valéry Giscard d’Estaing : le chinon
Bien qu’il soit discret sur la question, Giscard aime le vin, et surtout en connaît parfaitement la culture. Au Salon de l’agriculture où il ne se rend que trois fois, il goûte du bout des lèvres le verre de vin qu’on lui tend. En privé, il préfère le vin rouge : le chambertin en Bourgogne, Cheval Blanc à Saint-Emilion, et plus couramment, le chinon.
François Mitterrand : le saint-estèphe
Mitterrand est le seul président à être originaire d’une région viticole, celle des cognacs et des pineaux. Ses ancêtres étaient même producteurs de vinaigre. C’est sous son deuxième mandat, le 10 janvier 1991, qu’est entérinée la loi Evin. Cette loi poursuit la politique menée par les gouvernements précédents contre le tabagisme et l’alcoolisme.
En 1975, la loi Veil concernait la cigarette. En 1987, la loi Barzach réglemente pour la première fois la communication sur les vins et les spiritueux. La mention « à consommer avec modération » apparaît. Du nom du ministre de la santé, Claude Evin, la loi durcit considérablement les règles de la publicité aussi bien pour le tabac que pour le vin.
C’est donc modérément que le président déclare son goût pour le Château Haut-Marbuzet, un saint-estèphe, et pour le sancerre rouge élaboré dans sa circonscription de Château-Chinon.
Jacques Chirac : la Corona (et Bernadette, le pauillac)
Pendant ses deux mandats, le budget vin de la cave de l’Elysée est dopé d’au moins 20 %. Mais Chirac affiche clairement sa préférence pour la bière, la Corona notamment, que sa fille Claude lui a fait découvrir. Dans la famille, c’est surtout Bernadette qui est passionnée par le vin et par le pauillac en particulier.
C’est elle qui fait passer l’entretien d’embauche de Guillaume Joubin pour le poste de sommelier en chef pendant le second mandat. De son côté, le président se fait faire des fiches sur le vin afin de ne pas rester en berne dans les dîners officiels.
Nicolas Sarkozy : les bouteilles… dans la cave
Ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy ne boit pas de vin qu’il n’en mesure pas l’importance pour l’économie nationale. C’est même sous la présidence de ce buveur d’eau que la cave de l’Elysée est la plus fournie : elle reste en effet la première cave de la République. Quand Sarkozy quitte le Palais, elle contient près de 25 000 bouteilles (elle en fait la moitié aujourd’hui). Sous son mandat, la loi Evin est assouplie par la loi Bachelot en 2009 en autorisant notamment la publicité du vin sur Internet.
François Hollande : tous les vins
Comme son prédécesseur, François Hollande continue à infléchir la politique sur le vin. Pourtant, dès le début de son mandat, en 2013, il avait fait sensation en décidant de vendre aux enchères une partie de la cave de l’Elysée. Il s’agit en réalité d’en réorganiser le positionnement et d’autofinancer de nouveaux achats vers des vins plus modestes.
Au Salon de l’agriculture, il s’affiche comme le plus zélé des présidents sur le temps passé à en arpenter les allées. Il y passe jusqu’à douze heures d’affilée, battant le record de Chirac qui était de dix heures. On le voit goûter un bergerac et déclarer spontanément : « C’est une petite bombe ».
Il apprécie le vin, le montre, mais reste consensuel : il ne reconnaît aucune préférence. Il est aussi le premier président à ouvrir, en 2015, le salon professionnel Vinexpo à Bordeaux, créé en 1981. En janvier 2016, la loi Evin est assouplie : la référence à la région de production n’est plus considérée comme une publicité. Mais les temps ont changé : depuis l’ère de Gaulle, la consommation individuelle annuelle des Français est passée à 42 litres.