« Etranglé économiquement, le Tchad a opéré un revirement complet vis-à-vis du Qatar »
« Etranglé économiquement, le Tchad a opéré un revirement complet vis-à-vis du Qatar »
Par Benjamin Augé (chroniqueur Le Monde Afrique)
Soucieux de s’attirer les bonnes grâces des Etats rivaux du Golfe, le président Idriss Déby a rétabli les relations avec Doha tout en nommant son fils ambassadeur à Abou Dhabi.
Chronique. Depuis le début de la crise entre les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte, Bahreïn et le Qatar, en juin 2017, certains pays africains se sont positionnés pour l’une ou l’autre partie. Le Tchad s’est alors démarqué par son activisme contre le Qatar en affichant une proximité à toute épreuve avec les Emirats. Cette relation vient encore de prendre de l’ampleur avec l’arrivée du premier ambassadeur tchadien à Abou Dhabi.
Depuis plusieurs mois, son nom était évoqué avec de plus en plus d’insistance dans les couloirs de la présidence, à N’Djamena. Le propre fils du président Idriss Déby, Zakaria Idriss Déby, a été confirmé, le 4 avril, comme le premier titulaire du poste d’ambassadeur tchadien à Abou Dhabi. Jusqu’à présent, N’Djamena n’était représenté dans les Emirats que par un simple consul à Dubaï.
Bouée de sauvetage
Ancien directeur de la compagnie Toumaï Air Tchad, qu’il n’a pas réussi à sauver de la faillite, puis directeur adjoint du cabinet civil de son père, Zakaria Idriss Déby, 33 ans, n’a encore jamais été associé aux activités du ministère des affaires étrangères. Cependant il a, dès le début de la crise avec le Qatar, été dépêché par son père à Abou Dhabi. Durant plusieurs semaines, Zakaria Idriss Déby a fait valoir avec succès auprès du prince héritier, Mohamed Ben Zayed Al-Nahyane, combien l’influence de son père pouvait s’avérer déterminante pour ramener plusieurs pays africains dans le giron saoudo-émirati.
En parallèle, Idriss Déby a mis tout son poids pour que ses voisins du Sahel rappellent leurs ambassadeurs basés au Qatar, faisant ainsi basculer en juin 2017 le Niger, la Mauritanie et même le Sénégal – jusqu’au retour à Doha de l’ambassadeur de ce dernier, en septembre. Le Tchad a même été plus loin en rompant toutes relations diplomatiques avec le Qatar fin août.
L’activisme du président tchadien dans le Golfe lui a permis de récolter d’importantes promesses d’aide. Lors d’une conférence organisée à Paris du 6 au 8 septembre 2017, les Emirats arabes unis ont largement contribué à ce que la Banque islamique de développement, le fonds de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) se mobilisent massivement en faveur du Tchad.
Un autre forum économique sur les investissements au Tchad a même été organisé le 13 septembre à Abou Dhabi. Le président Déby perçoit les Emirats comme une possible bouée de sauvetage de son économie, plombée par une production pétrolière en constante diminution et des cours très bas depuis 2014.
Virage à 180 degrés
Si Idriss Déby a souhaité personnaliser sa relation avec les Emirats arabes unis via la nomination de son fils, il a depuis quelques semaines fait faire un virage à 180 degrés à sa politique envers le Qatar. Le président tchadien a soudainement dépêché en jet privé, le 20 février, son ministre des affaires étrangères, Mahamat Zene Cherif, à Doha, afin de signer un accord prévoyant la reprise des relations diplomatiques et la réouverture prochaine de son ambassade dans ce pays du Golfe.
Etranglé économiquement, le Tchad a été contraint à ce revirement complet du fait de la nécessité de rediscuter un prêt de 1,4 milliard de dollars (près de 1,2 milliard d’euros) qu’il avait contracté en 2014 avec le trader Glencore.
Or l’un des principaux actionnaires de Glencore n’est autre que le fonds d’investissement qatari, la Qatar Investment Authority. Celle-ci a été particulièrement précieuse pour que Glencore accepte enfin une renégociation des termes du prêt dont les résultats, favorables pour N’Djamena, ont été annoncés quelques heures avant la reprise des relations bilatérales entre les deux pays. Ces discussions, totalement bloquées depuis plusieurs mois, ont alors été menées à leur terme, comme par magie, à la vitesse de la lumière.
Malgré la reprise des relations diplomatiques, aucun ambassadeur n’a encore été nommé par Idriss Déby au Qatar. Il vient tout juste de décharger officiellement de ses fonctions celui qui avait été rappelé en juin 2017, Aboubakar Siddick Tchoroma. Le profil du futur impétrant sera particulièrement intéressant à scruter afin de comprendre quel type de relation le président tchadien souhaite entretenir dans l’avenir avec l’émirat gazier.
En attendant, le Qatar vient d’envoyer une équipe pour trouver un terrain afin de construire une ambassade à N’Djamena. Jusqu’à la rupture des relations diplomatiques l’année dernière, Doha logeait son ambassadeur dans un hôtel.
Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).