Cyclisme : l’incertitude sur le cas de Chris Froome pollue le départ du Giro
Cyclisme : l’incertitude sur le cas de Chris Froome pollue le départ du Giro
Par Clément Guillou
Le Britannique, sous la menace d’une suspension pour dopage, irrite adversaires et organisateurs, lassés de n’entendre parler que de Froome. Lequel pourrait se voir retirer sur tapis vert une éventuelle victoire.
Appelez-ça le karma. Genou droit en sang et maillot déchiré, Christopher Froome est le premier cycliste abîmé d’un Tour d’Italie qui n’avait pas officiellement débuté, vendredi 4 mai au matin, quand il a goûté au bitume de Jérusalem. Jusqu’au bout, le Britannique sous la menace d’une suspension pour dopage aura phagocyté le Grand départ en Israël du Giro, une épreuve sur laquelle il fait planer un énorme point d’interrogation.
Just happened during the TT recon. @chrisfroome crashed in Jerusalem! @giroditalia ☑️ #Sporza🇮🇹 #Giro101… https://t.co/A0HZunAGOu
— wielerman (@Renaat Schotte)
Les organisateurs du Tour d’Italie, qui viennent du monde de la presse, savent qu’il n’y a pas de mauvaise publicité et accueillent avec bonheur les journalistes bien plus nombreux qu’à l’habitude, attirés par la coagulation de polémiques : départ en Israël, présences conjuguées de Lance Armstrong - il enregistre des émissions pour son podcast - et de Chris Froome.
Pourtant, pour la première fois, le directeur de l’épreuve Mauro Vegni a fait part de son irritation à l’égard de l’équipe Sky, jeudi 03 mai lors de la conférence de presse précédant l’épreuve. De manière compréhensible : alors que Chris Froome a été informé le 20 septembre de son contrôle antidopage anormal (2 000 nanogrammes de salbutamol par millilitre d’urine, contre 1 000 nanogrammes maximum autorisés), la formation britannique a tu l’information pendant la négociation de sa prime d’engagement sur le Giro, dont on dit qu’elle approcherait les deux millions d’euros. Dans le vélo, lorsqu’un chèque à dix chiffres se prépare, on met parfois sa franchise dans la poche ; surtout lorsqu’on s’appelle Dave Brailsford, patron de l’équipe Sky qui n’est plus à une dissimulation près.
Lorsque Le Monde et The Guardian ont révélé l’existence de ce contrôle, mi-décembre, Dave Brailsford s’est rendu sur le champ à Milan pour s’expliquer… et dire sa confiance à Mauro Vegni « qu’une solution à ce problème serait trouvée ». Ce qui ne fut pas le cas, l’affaire Froome étant toujours en suspens pour plusieurs semaines encore.
« Les négociations avec le Team Sky ont eu lieu avant la présentation du Giro (en novembre) donc, dans le cadre d’une relation correcte, j’aurais aimé être informé - je n’ai vraiment pas apprécié », a dit Mauro Vegni lors d’un point presse dont la première demie-heure a été exclusivement consacrée au cas Froome, à la grande exaspération du patron de l’épreuve.
Le directeur du Giro préférerait une victoire de Dumoulin
Il a ensuite, de manière inhabituelle pour un directeur de course, laissé entendre qu’une nouvelle victoire de Tom Dumoulin, le Néerlandais au sourire irradiant vainqueur l’an dernier, serait « une bonne issue pour le Giro ». Ce serait en tout cas le résultat le moins polémique.
Ariel Schalit / AP
Car un succès de Froome, accompagné par deux gardes du corps pour sa conférence de presse d’avant-Giro, mettrait l’épreuve dans une situation délicate.
Le cas du Britannique n’est pas loin d’être désespéré : toutes ses explications initiales sur le taux élevé de salbutamol ayant été épuisées, sa pléthorique équipe de défense entend désormais contester la validité scientifique du test de détection du salbutamol, ou la limite fixée à 1 000 nanogrammes. Le transfert du dossier au tribunal antidopage de l’UCI, révélé par Le Monde il y a un mois, indique en tout cas la détermination de la Fédération internationale à le suspendre.
En cas de suspension, Chris Froome perdra-t-il ses résultats du Giro ? Les organisateurs espèrent que ce ne sera pas le cas et ont créé la stupeur, jeudi, en déclarant que le président de l’UCI (Union cycliste internationale) David Lappartient lui avait promis que Chris Froome resterait quoi qu’il en soit au palmarès du Giro en cas de victoire. La déclaration a poussé Le Monde à déranger David Lappartient en Argentine : « Qu’est ce que c’est que cette histoire ? On n’a jamais dit ça ! Je peux comprendre que ce soit sa volonté mais je ne peux pas présager de la décision de l’organe disciplinaire. J’ai parlé à Mauro Vegni la veille de Milan-San Remo (en mars) et depuis, je n’ai pas eu de coup de fil avec lui. Il n’y a aucun engagement de ma part. »
Flou juridique
Jusqu’à présent, le président français de l’UCI s’en est toujours tenu à une lecture stricte du code mondial antidopage. « La règle, c’est qu’on est déclassé des courses entre le jour où on a été pris positif et le jour de la sanction. Ensuite, la sanction commence à compter de ce jour-là. A priori, c’est comme ça qu’est écrit le code. »
Le code mondial antidopage, pourtant, semble avoir été écrit pour enrichir les juristes en droit du sport et épargner les sportifs les plus fortunés. Au paragraphe 10.8, le code dispose en effet que tous les résultats obtenus entre le contrôle et la sanction sont effacés….« à moins qu’un autre traitement ne se justifie pour des raisons d’équité ».
Les juristes interprètent cette exception de manière variée. Ainsi le Tribunal arbitral du sport (TAS) a-t-il privé le cycliste Alberto Contador de ses succès obtenus durant le traitement de son contrôle positif au clenbutérol - dont le Tour d’Italie 2011, d’où la fermeté des organisateurs aujourd’hui. Dans plusieurs autres cas où l’infraction était moins grave, il a pris la décision inverse.
La juriste suisse Marjolaine Viret, membre de la commission antidopage de l’UCI, estime dans son livre « Evidence in Anti-Doping at the Intersection of Science & Law » (Asser Press, 2016) que les résultats ne devraient pas être annulés dans un cas où le sportif a pu prouver n’avoir commis « aucune faute ou négligence significative ». Les conseils de Chris Froome seront-ils suffisamment adroits pour en convaincre le tribunal antidopage voire, en cas d’appel, le TAS ?
Au-delà de la pollution de ce départ israélien, le cas Froome risque de poser un problème plus sportif durant trois semaines : dans l’hypothèse où le Britannique se révélerait au-dessus du lot, faudra-t-il courir contre lui pour gagner le Giro ou, au contraire, jouer la deuxième place dans l’hypothèse vraisemblable où il le perdrait ensuite sur tapis vert ?
Pour toutes ces raisons, le peloton estime, dans sa grande majorité, que Froome aurait dû se passer de venir à Jérusalem. Et c’est à l’aune de ce ressentiment vis-à-vis du Team Sky qu’il faudra, sans doute, analyser certaines décisions tactiques dans les trois semaines à venir.