La France creuse la « dette écologique »
La France creuse la « dette écologique »
Par Pierre Le Hir
A compter du 5 mai, si le monde entier vivait comme les Français, les ressources naturelles que la planète peut renouveler en un an seraient consommées.
Les cultures intensives mettent notamment en péril la biocapacité de la planète. / Roger Rozencwajg / Photononstop
La France a commencé à réduire son déficit budgétaire, mais son déficit écologique, lui, continue de se creuser inexorablement. C’est l’alerte que lance le WWF, dans un rapport publié vendredi 4 mai. A compter de samedi, les Français vivront en quelque sorte à crédit : si leur niveau de consommation était généralisé sur la planète, l’ensemble des ressources que la nature peut renouveler en un an serait d’ores et déjà épuisé.
L’ONG a travaillé en collaboration avec le Global Footprint Network, un institut de recherche international qui, chaque année, calcule le « jour du dépassement » : celui à partir duquel l’empreinte écologique de l’humanité – émissions de carbone, utilisation de terres agricoles, de prairies, de forêts et de milieux aquatiques, ou encore artificialisation des sols – excède la biocapacité de la planète, c’est-à-dire sa capacité annuelle à absorber les gaz à effet de serre d’origine anthropique et à reconstituer ses réserves.
Empreinte écologique des Français depuis 1961, avec, de haut en bas, la part des émissions de carbone, des espaces bâtis, de la pêche, des coupes forestières, du pâturage et des cultures. / WWF-France
Sans doute cet indicateur présente-t-il des limites. Il donne en effet un poids prépondérant aux émissions carbonées (60 % de l’empreinte écologique) et ne prend pas en compte des facteurs tels que la perte de biodiversité, la pollution ou la pression sur la ressource en eau. Il n’en permet pas moins de mesurer, année après année et à paramètres constants, l’évolution de la situation. Et la tendance n’est pas bonne.
Alors que jusqu’au début des années 1970, l’humanité consommait moins de ressources que ce que pouvait lui procurer la nature, elle est ensuite devenue débitrice. Et le jour fatidique du dépassement est de plus en plus précoce : le 1er décembre en 1975, le 5 novembre en 1985, le 5 octobre en 1995, le 26 août en 2005, le 4 août en 2015, le 2 août en 2017, peut-être plus tôt encore cette année, pour laquelle le Global Footprint Network rendra son verdict cet été. Autrement dit, il faudrait désormais 1,7 planète pour subvenir aux besoins annuels des quelque 7,5 milliards d’humains.
Modèle de développement
Le WWF s’est penché, pour la première fois, sur le cas particulier de l’Hexagone. Il apparaît que, si le monde entier vivait comme les Français, la capacité des écosystèmes à se régénérer serait épuisée dès le 5 mai, en à peine plus de quatre mois. Il faudrait donc 2,9 planètes pour que les océans et les forêts stockent le CO2 relâché en un an par les activités humaines, et pour assurer l’alimentation en bétail et en poissons, ou l’approvisionnement en bois de la population mondiale.
Certes, l’empreinte écologique de la France est moindre, si on la rapporte à la biocapacité du territoire national, en métropole mais aussi dans les outre-mer. Avec ce calcul, les Français consomment 1,8 fois plus de ressources que ce que « leurs » milieux naturels sont en mesure de leur fournir. « Ce rapport ne met pas en avant une approche “nationaliste”, mais pointe un modèle de développement qui conduit à une aggravation de notre dette écologique », précise Pascal Canfin, directeur général du WWF-France.
Date du « jour du dépassement planétaire », si toute l’humanité vivait comme les différents pays mentionnés. / WWF-France
Au reste, la France se classe dans le groupe de tête des pays les plus « prédateurs », loin derrière le Qatar (avec le train de vie qatari, le jour du dépassement planétaire serait le… 9 février), les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie, mais à peu près au même niveau que l’Allemagne et le Royaume-Uni, devant le Japon, la Grèce ou l’Italie. A titre de comparaison, avec le mode de vie du Vietnam, le jour du dépassement n’interviendrait que le 20 décembre !
Dans le détail, les émissions de carbone pèsent pour plus de moitié (56 %) dans l’empreinte écologique des Français, devant l’utilisation des terres agricoles pour l’alimentation humaine et animale (20 %), l’exploitation forestière (11 %), l’affectation des prairies à l’élevage du bétail (5 %), la pêche (4 %) et la couverture des sols par des infrastructures industrielles, des voies de transports ou des habitations (4 %). Globalement, le logement, les transports et l’alimentation sont à l’origine de plus des deux tiers de la pression exercée sur les milieux naturels, du fait notamment des émissions de gaz à effet de serre qu’ils génèrent.
Logement, transports et alimentation sont à l’origine de plus des deux tiers de l’empreinte écologique des Français. / WWF-France
Pour le WWF, ce constat est d’autant plus alarmant que l’Hexagone avait, sur la période 2008-2015, réduit de façon continue son empreinte écologique. Celle-ci est, depuis, repartie à la hausse, avec une augmentation de 5 % entre 2015 et 2018. Un mauvais résultat dû principalement à une poussée des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs du bâtiment et des transports.
« Le paradoxe est que cette dégradation a commencé en 2015, l’année de l’adoption de l’accord de Paris sur le climat », commente Pascal Canfin. Au-delà d’explications conjoncturelles, telles que la baisse des cours du pétrole ayant favorisé un regain de consommation, l’ONG y voit la preuve que la politique nationale de transition écologique « n’est pas assez ambitieuse ».
« Pas de planète B »
« Si la planète était une entreprise, elle serait en faillite, ajoute son directeur général. Le dérèglement climatique, la disparition du vivant, la destruction des forêts primaires et la transformation des océans en soupe de plastique sont les signes de cette faillite écologique. »
L’ONG estime pourtant qu’il n’est pas trop tard pour redresser la barre. « Les technologies sont aujourd’hui disponibles, qu’il s’agisse des véhicules électriques, de l’habitat à basse consommation, des énergies renouvelables ou de l’alimentation biologique, souligne M. Canfin. C’est donc une question de volonté politique. Le président de la République a fait de la bonne gestion financière un élément-clé de son quinquennat. Il doit désormais mettre en place une stratégie de désendettement écologique. » Et de prendre au mot Emmanuel Macron qui, le 25 avril, devant le Congrès américain, déclarait : « Il n’y a pas de planète B. » Autrement dit, pas d’autre choix que de vivre avec la finitude de notre Terre nourricière.