Foule hétéroclite pour écouter le chœur du Magdalen college, le 1er mai à Oxford. / Noé Michalon

Chronique d’Oxford. Diplômé de Sciences Po, Noé Michalon tient une chronique pour Le Monde Campus, dans laquelle il raconte son année à l’université d’Oxford, où il suit un master en études africaines.

Une fois par an, à l’aurore, au moment où se croisent la nuit finissante et le jour naissant, la faune nocturne d’Oxford rencontre les Oxoniens du matin. Dans la froide et pluvieuse Angleterre, on attend le 1er mai plutôt que le 21 mars pour célébrer le printemps, et dans cette vieille université, c’est l’occasion de se prêter à un spectacle singulier. Depuis plus d’un demi-millénaire, à l’occasion du May Morning, le chœur du vieux Magdalen College entonne au sommet de sa tour, à 6 heures du matin pétantes, un hymne chrétien, ensorcelant les oreilles de centaines de lève-tôt. Ou de couche-tard.

Avant même de mettre les pieds à Oxford, j’avais déjà eu droit à un récit haut en couleurs de l’événement par un ami allemand qui y avait étudié quelques années plus tôt : « En général, les étudiants passent la nuit à faire la fête, c’est plus simple que se lever de bonne heure. Ça pousse certains à faire un peu n’importe quoi, comme sauter des ponts », m’expliquait autour d’une pinte automnale l’ami Christoph. Mais ce qui m’intriguait encore plus, c’est l’effet surnaturel que le chant avait eu sur lui : « De toute ma scolarité, je n’ai jamais été aussi productif que ce jour-là. J’ai dû passer une quinzaine d’heures sur mes devoirs non stop. »

Evidemment en retard sur toutes ses échéances, votre serviteur a cru bon de tout miser sur cette fameuse séance de musicothérapie matinale pour remédier à la paresse printanière. Comme par enchantement, j’ai pu voir s’éteindre la veille, dès le milieu de soirée, les baies vitrées de la résidence étudiante qui fait face à la mienne. Pour les voir se rallumer en même temps que mon réveil strident, entre chien et loup, à 5 heures du matin mardi 1er.

Vapeurs et haleines de whisky

Au fur et à mesure que nous avançons dans le froid, les grinçants vélos de ma coloc’ et le mien sont rejoints par d’autres, puis par une petite foule, devant la fameuse tour. Dans ce cortège expirant des volutes de buée, les vapeurs et les haleines de whisky se mélangent alors à celles des kébabs d’après-soirée, les subfuscs (tenues officielles pour les dîners formels et cérémonies) se mêlent aux sweats à capuche, voire aux t-shirts des plus audacieux. Retraités, quadras avec enfant sur les épaules et étudiants convergent vers ce même but, regard vers le ciel. Et le brouhaha de tous s’estompe d’un seul coup, au moment du carillon de 6 heures. Une vraie communion !

May Morning, Oxford, 2018
Durée : 02:46

La légende disait donc vrai : il y a bien quelque chose d’enchanteur dans ces voix haut perchées qui dégringolent de ces silhouettes vêtues de blanc, à vous en tirer des frissons, pendant que des oiseaux bien matinaux volent en cercle autour de la tour. La foule se fige, et boit les quelques locutions latines puis la courte homélie d’un homme d’Eglise, qui tient à bénir l’université, la ville et le comté.

Charmes culinaires anglais

La magie s’estompe après la dizaine de minutes la plus importante de l’année. Ragaillardi, sinon même ébranlé — j’ai croisé quelques badauds en larmes, mais les raisons de sangloter ne manquent pas à Oxford —, le public reflue dans les artères de la ville aux clochers rêveurs, à l’affût de nouvelles attractions. Toute la matinée, danseurs folkloriques et musiciens se relaient dans le centre de la cité dans diverses activités, pendant que les cafés se remplissent pour un petit-déjeuner précoce, à base de bacon, de haricots et de tous ces charmes culinaires anglais.

Intrigué par un troupeau de passants aux masques de mouton et de cheval, j’aborde un pâtre le front ceint de lierre et à l’écharpe végétale pour le sonder sur sa matinée. « Cela fait vingt ans que je suis ici, et je ne loupe pas un seul May Morning, c’est une institution », m’explique cet Anglais. Quant à sa couronne feuillue, « c’est pour célébrer la renaissance de la nature et le retour des beaux jours ». Et l’effet magique, vous l’avez ressenti ? « Pas cette année malheureusement », me répond-il, confirmant par là même son existence.

En attendant d’écrire mon mémoire en douze heures ou de lire à la vitesse de la lumière de l’aube (ce qui n’a finalement pas eu lieu, Morphée vainqueur par K.-O.), les chants latins m’ont inspiré cette chronique. Et m’ont surtout rappelé le manque usant de sommeil qu’on peut avoir ici…

Noé Michalon