Les architectes retournent au bois
Les architectes retournent au bois
M le magazine du Monde
Elégant et écologique, le bois devient le matériau de prédilection des nouveaux immeubles, tours d’habitation ou de bureaux. Une révolution architecturale rendue possible par la mise au point de panneaux d’une résistance inégalée.
La future tour de 14 étages entièrement recouverte de bois de l’architecte Lina Ghotmeh a été choisie dans le cadre du projet de rénovation du site de l’ancienne gare Masséna, dans le 13e arrondissement de Paris. / Lina Ghotmeh Architecture
Dans dix mois, un nouveau sommet culminera entre le centre-ville de Strasbourg et la frontière allemande. Haute de 38 mètres et dotée de 11 étages, la tour Sensations aura la particularité d’être entièrement réalisée en bois, de la façade à la cage d’ascenseur… 146 appartements y seront logés. A Bordeaux, au niveau du quai de Brienne, ce sont des entreprises qui investiront, dans quelques jours, le plus grand immeuble de bureaux en bois de France. Baptisé Perspective, il se dresse sur sept niveaux.
Jusqu’à 50 mètres de hauteur
Le bois fait son grand retour dans la construction. Après avoir convaincu les architectes d’intérieur, qui attribuent au lambris des vertus apaisantes, le bois apparaît désormais sur les façades extérieures des maisons et, depuis cinq ans, sur celles des immeubles. Architectes, promoteurs et autres professionnels du bâtiment multiplient en effet les expérimentations pour lancer des chantiers qui peuvent atteindre jusqu’à 50 mètres de hauteur. On le sait peu, mais le bardage (la partie visible qui recouvre les façades) ne représente que 5 % du bois utilisé. L’essentiel est employé pour la structure, invisible de l’extérieur mais véritable enjeu de ce renouveau du bois. « Nous avons dû nous fédérer pour répondre à ce nouveau besoin pour les chantiers à plusieurs étages, de plus en plus nombreux en France », explique Sylvain Larrouy, le président de Maître Cube, qui regroupe les huit plus gros charpentiers du pays.
A Bordeaux, Perspective, un immeuble de bureaux à la structure en bois massif, sera livré à l’été 2018. / Laisné Roussel
Ce phénomène n’aurait pas vu le jour sans un singulier alignement des planètes. D’abord, une prise de conscience politique. « Depuis la COP21, les élus ont compris les vertus du bois », estime Dimitri Roussel, qui s’est spécialisé dans ce matériau au sein de l’agence Laisné-Roussel, à qui l’on doit la tour bordelaise Perspective (l’architecte a, depuis, lancé son propre studio, Dream). « Ce sont l’Etat et les collectivités locales qui ont commencé ces programmes, que ce soit le futur édifice de la place Mazas, près de Bastille, avec le projet “Réinventer la Seine” ou L’Arboretum, des bureaux à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. »
Dans le cadre du programme « Inventons la métropole du Grand Paris », l’agence Laisné-Roussel a aussi remporté la construction d’un ensemble qui sera réalisé à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Avec ses 60 mètres de hauteur, ce sera l’un des bâtiments en bois les plus élevés de France, grâce à l’utilisation de CLT (Cross Laminated Timber), un matériau ultrarésistant constitué de panneaux de bois massif développé depuis une dizaine d’années.
« La tour que je construis actuellement dans le 13e arrondissement de Paris n’aurait pas vu le jour sans le CLT, qui permet de construire haut et dense », souligne l’architecte Lina Ghotmeh. Pour ce projet baptisé « Ré-Alimenter Masséna », elle a utilisé le bois apparent comme un manifeste. « Ce n’est plus un bâtiment mais un élément naturel dans la ville. Il va grisailler, changer de couleur, faire œuvre de pédagogie. » Car le principal intérêt du bois est écologique, avec un bilan carbone deux fois moins lourd que le métal ou le béton, et un chantier court qui ne pollue pas le site puisque le matériau arrive prêt à être monté. « Les méthodes de construction sont plus durables, on assemble comme au Lego, sans dépenser d’énergie inutilement », résume Lina Ghotmeh.
L’Arboretum, immeuble de bureaux en bois massif situé à Nanterre, est prévu pour une livraison en 2022. / Laisné Roussel/Francois Leclercq/Virgin Lemon
L’usage du bois offre aussi de nouvelles formes architecturales, plus légères et élégantes. « Je fais souvent visiter l’immeuble Perspective à des bailleurs, des collectivités et des promoteurs qui ont besoin d’être rassurés, indique Dimitri Roussel. Ils sont rapidement convaincus par sa façade en pin des Landes et son intérieur en mélèze d’Aquitaine et du Massif central. »
Pourtant, le premier gratte-ciel en bois n’est pas pour demain. « Le Japonais Shigeru Ban est à l’origine d’une tour de 70 mètres à Vancouver, au Canada, mais on ne verra jamais de Burj Khalifa en bois (la tour la plus haute du monde, 828 mètres, située à Dubaï) », estime William Hall, auteur de Wood, ouvrage consacré à la construction en bois (éd. Phaidon). Peu importe, du moment que l’industrie du bâtiment, l’une des plus polluantes du monde, poursuit sa réforme.