Un jeu Super Nintendo pour sensibiliser aux conditions de travail… dans le jeu vidéo
Un jeu Super Nintendo pour sensibiliser aux conditions de travail… dans le jeu vidéo
Par William Audureau
« Crunch Out » tourne en dérision les dérives managériales de l’industrie. Il met en scène Fork Parker, directeur fictif d’une entreprise réelle du secteur.
« Fork Parker’s Crunch Out », le jeu Super Nintendo qui tourne en dérision les travers de l’industrie du jeu vidéo. / Devolver Digital
C’est une initiative pour le moins originale, qui associe une console rétro à des problématiques très actuelles. L’éditeur américain Devolver, réputé pour sa communication à contre-courant des grands groupes, a annoncé le 11 mai la sortie de Fork Parker’s Crunch Out, un jeu de gestion en édition limitée. Il sortira uniquement en cartouche sur la version américaine de la Super Nintendo, une console de jeu vidéo culte des années 1990.
Les bénéfices seront reversés à Take This, une association caritative américaine de sensibilisation à la souffrance psychologique, qui a été rejointe en 2017 par Kate Edwards, la directrice exécutive de l’International Game Developers Association (IGDA).
Parodie cynique
A travers le personnage fictif de Fork Parker, directeur financier avide qui sert de parodie de mascotte à Devolver, cette production aux graphismes d’époque passe en revue les travers de l’industrie du jeu vidéo, dit le communiqué, au ton sarcastique :
« L’amour immodéré de Fork Parker pour le profit et ses stratégies de management pour le moins discutables (stagiaires sous-payés, heures supplémentaires obligatoires, défibrillateur d’urgence en cas de décès…) vont lui permettre de faire respecter toutes les deadlines à ses équipes, tout en maintenant leur motivation au niveau le plus élevé grâce à d’hypothétiques bonus, malheureusement calculés en fonction de la réception critique de leur jeu. »
Fork Parker, le directeur financier vénal - et imaginaire - de Devolver Digital, un héros pas comme les autres. / Devolver Digital
Le thème du jeu fait écho aux conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo, un sujet de plus en plus médiatisé. Take This avait déjà publié en 2016 un livre blanc sur les souffrances liées au « crunch », des périodes de surcharge de travail massive pouvant dépasser soixante-dix heures par semaine. Un thème également abordé par le journaliste américain Jason Schreier dans son livre Blood, Sweat and Pixels (à paraître en France sous le titre Des larmes, du sang et des pixels), ou encore Mediapart et Canard PC dans une enquête commune sur l’exploitation des employés du secteur. Un projet de syndicat international des travailleurs du jeu vidéo, Game Workers Unite, est né en mars 2018.
Le pied de nez d’un éditeur indépendant
Le jeu, diffusé à 1 000 exemplaires seulement sur le site du studio de jeux vidéo à qui il a été sous-traité, Megacat Studios, tient avant tout d’une opération de communication. Il s’inscrit dans la continuité du discours engagé des dirigeants — bien réels, ceux-là — de Devolver. En octobre 2017, son cofondateur Mike Wilson avait été l’un des rares hommes haut placés de l’industrie du jeu vidéo à avoir soutenu le mouvement #MeToo et à s’être publiquement excusé de ses conduites inappropriées envers des femmes.
Le jeu, tiré à 1000 exemplaires seulement, tient pour beaucoup d’un coup de communication. / Devolver Digital
Devolver est un label indépendant spécialisé dans les petites productions décalées, plutôt que dans les superproductions particulièrement coûteuses en argent, en temps, en ressources humaines. En avril, Mike Wilson a fait part de son soutien à la syndicalisation dans l’industrie, en regrettant la chappe de silence sur ses conditions de travail :
« Ce “crunch” qui brise les gens dans les grands studios, ce n’est pas nouveau. C’est juste un secret honteux que l’industrie n’a jamais réussi à résoudre en vingt ans, ce qui est assez scandaleux quand on voit l’argent qu’elle génère. Nous n’en parlons pas, et… puisqu’il n’y a pas de syndicat de développeurs de jeu, les représentants de l’industrie ne veulent pas énerver les éditeurs, qui sont souvent leurs plus grands sponsors. »
Plusieurs jeux vidéo se sont déjà amusés à mettre en scène l’industrie de manière ludique et satirique, comme Wario Ware ou Game Dev Story, mais sans jamais soulever la question des surcharges de travail.