Pied d'éléphant d'Afrique (Loxodonta africana). / ROGER DE LA HARPE / BIOSPHOTO

Il est entendu que lorsqu’on pèse quatre tonnes, le plancher tremble sous nos pas. Quand les éléphants s’enfuient face à un danger, ils font vibrer la savane comme un tambour sur un rayon de plusieurs kilomètres. Et quand ils poussent des vocalisations de très basse fréquence, sortes de gargouillements, elles se propagent dans le sol sur de grandes distances. Loin d’être inutiles, ces ­vibrations seraient perceptibles par leurs ­congénères et aideraient à la communication.

Dans la revue Current Biology du 7 mai, une équipe multidisciplinaire des universités d’Oxford et de Bristol, au Royaume-Uni, a ­annoncé être en mesure d’identifier le comportement des éléphants en écoutant les ­microséismes qu’ils engendrent. La biologiste Beth Mortimer a fait appel à ses collègues sismologues afin de modéliser la propagation des ondes dans le sol. Ils ont montré qu’il est possible de remonter à la source et de reconnaître, à distance, la marche rapide ou les gargouillements d’un pachyderme à partir des vibrations seules.

Communication sismique

Evidemment, la distance de propagation dépend du type de sol. Les ondes voyagent mieux dans le sable tapé que dans la pierre. Les plus grandes distances de transmission mesurées par l’équipe lors de sa campagne au Kenya sont de 6,4 km pour les gargouillements et de 3,6 km pour un éléphant au trot.

« La grande nouveauté, c’est d’étudier à la fois le type de comportement, le type de ­substrat et la présence de bruit ambiant, croit ­Sarah Bortolamiol, chercheuse associée au Muséum national d’histoire naturelle, à ­Paris. Ces aspects avaient été étudiés séparément, mais jamais ensemble. »

Ces travaux confirment aussi la vraisemblance d’une communication sismique chez les éléphants. Caitlin O’Connell-Rodwell, une spécialiste de l’université Stanford en Californie, écrivait il y a une dizaine d’années que les éléphants réagissent vivement à des signaux d’avertissement sismique lancés par leurs semblables. Les mastodontes se regroupent alors en formations plus denses et s’orientent vers l’origine de l’alerte. Ils reniflent, scrutent les alentours ou posent leurs genoux par terre, nerveusement. En revanche, si l’avertissement sismique provient d’un individu ­inconnu, ils y répondent beaucoup moins fortement. Les éléphants vivent en hardes d’une dizaine d’individus, mais entretiennent des liens avec d’autres groupes.

Perçoivent-ils les vibrations grâce à leurs oreilles, leurs pieds ?

Le mécanisme exact par lequel les éléphants « écoutent » le sol reste à établir. Peut-être perçoivent-ils les vibrations grâce à leurs oreilles, de la même manière qu’ils entendent un son. Les ondes pourraient voyager jusqu’à la tête de l’animal par l’intermédiaire de ses os. Une autre possibilité serait que les vibrations soient directement ressenties par les pieds de l’animal, où se trouvent de nombreux récepteurs sensoriels spécialisés dans la détection des pressions. Le coussin graisseux épais dont est couvert le dessous du pied de l’éléphant est particulièrement efficace pour transmettre les ondes.

Le canal utilisé par les éléphants, autour de 20 Hz, est habituellement exempt de bruit, hormis les secousses sismiques ou le tonnerre. Cependant, Beth Mortimer et ses collègues ont estimé que les activités humaines, notamment le passage des voitures, peuvent diminuer d’un facteur cinq la distance sur laquelle les signaux des éléphants demeurent déchiffrables.

Les découvertes des chercheurs anglais pourraient maintenant servir à protéger les éléphants des braconniers en détectant en temps réel le vacarme sismique que provoque une harde d’éléphants fuyant un agresseur. Un réseau de géophones permettrait de localiser l’événement en triangulant les ­signaux. Pour Sarah Bortolamiol, une implémentation à petite échelle pour surveiller des populations particulièrement isolées ou en danger serait un outil intéressant.