Suspendu, Diego Simeone ne sera pas sur le banc mercredi, mais son aura pèsera fortement sur la finale. / OSCAR DEL POZO / AFP

En deux matchs, la demi-finale de Ligue Europa victorieuse de l’Atletico Madrid face à Arsenal a exprimé toute la quintessence de Diego Simeone. A Londres, il a d’abord été envoyé en tribunes pour avoir insulté l’arbitre, coupable, selon lui, d’avoir expulsé l’un de ses joueurs dès la 10e minute de jeu. Menée 1-0, son équipe a ensuite égalisé en fin de match à 10 contre 11, après une lutte sans merci. A la fin de la rencontre, le Français Antoine Griezmann avait tout résumé : « Vous savez, on a l’habitude de faire des entraînements à quatre contre onze… »

A Madrid, ses joueurs ont contrôlé une rencontre remportée par une marge infime (1-0), une spécialité maison. Et le public madrilène a pu célébrer au cri de « Cholo, Cholo » (surnom de Simeone) son chouchou, suspendu, qui faisait tournoyer en retour son écharpe. L’histoire d’amour est authentique entre le peuple de l’Atletico et ce Porteno [originaire de Buenos Aires]. Avant son arrivée en 2011, l’Altético était ce club à la fois attachant, maudit et connu pour sa gestion baroque pendant la présidence du sulfureux Jesus Gil y Gil (1987-2003).

Simeone avait connu en tant que joueur (de 1994-1997) ces années agitées où la durée de vie d’un entraîneur dépassait rarement six mois. En sept ans, il a réussi l’exploit de changer cette image et de remplir l’armoire à trophées. Les Colchoneros ont ainsi remporté une Ligue Europa et une Supercoupe d’Europe (2012), une Coupe du Roi (2013), une Liga et une Supercoupe d’Espagne (2014). Ils ont fait trembler l’Europe avant de s’incliner in extremis deux fois en finale de la Ligue des champions (2014 et 2016) face au voisin du Real.

« Le cholisme est une manière de réhabiliter les mots rigueur et discipline »

Mercredi contre Marseille, Diego Simeone ne pourra pas prendre place sur le banc du Parc OL, mais il sera, malgré tout, l’un des atouts principaux du club espagnol. Son obsession de la victoire rend impossible le risque d’une éventuelle décontraction d’une équipe donnée favorite. « Le supporter plus intelligent est celui qui n’est pas obsédé par les beaux gestes, mais par les victoires », clame-t-il dans son autobiographie, Mes secrets de coach. Le ton est donné.

Entraîneur depuis l’âge de 36 ans, dès sa retraite de joueur actée en 2006, Diego Simeone a fait ses armes en Argentine avant de transfigurer l’Atletico au point de se voir accoler un nom à sa philosophie du football : le cholisme. L’ancien footballeur argentin, Omar Da Fonseca, spécialiste de la Liga sur beIN Sports, en donne sa définition : « le cholisme, c’est une manière de réhabiliter les mots rigueur, discipline et organisation. Le football prôné par Simeone demande à ses joueurs de repenser leur manière de voir le foot. Plus la goutte de transpiration est grosse, mieux tu vas jouer le week-end… »

Les joueurs qui peuvent évoluer avec Diego Simeone ont des caractéristiques bien particulières. Il apprécie les défenseurs intransigeants et intelligents (Diego Godin). Il exige d’un milieu de terrain qu’il ne rechigne pas aux replis défensifs, tout en ayant les moyens techniques de repartir vite vers l’avant (Saul). Son attaquant rêvé (Diego Costa) est apte au combat et le premier à défendre.

Aujourd’hui exilé dans le championnat chinois, le milieu de terrain Yannick Carrasco a passé trois saisons sous les ordres de Diego Simeone (de 2015 à 2018). Avant de quitter Monaco, l’international belge savait pertinemment ce qui l’attendait dans la capitale espagnole : « Quand tu arrives à l’Atletico, il faut s’adapter au style de jeu et ce n’est pas donné à tout le monde. Je pense que j’avais la caisse physique pour les efforts demandés par Simeone. C’est inné, le volume physique tu l’as ou tu l’as pas. »

Diego Simeone porté en triomphe par ses joueurs en 2013. / JAVIER SORIANO / AFP

Cet engagement sans faille est réclamé en match comme à l’entraînement. Simeone pousse à son paroxysme le vieil adage footballistique “on joue comme on s’entraîne”. « Un entraînement est le meilleur moyen de savoir quel joueur a vraiment envie de jouer ou non. Les corps parlent. Tu les regardes et ils te disent quels joueurs sont en rébellion, quels sont ceux qui sont en train de souffrir, ceux qui sont tristes, ceux qui sont passifs, ceux qui n’en ont rien à faire de l’entraînement », assène-t-il.

Etre joueur de l’Atletico, c’est endosser l’uniforme d’une armée ultradisciplinée. « Avec lui, tu dois mouiller le maillot à fond et souffrir pour ton coéquipier. Mais tu sais que, quand tu perds un ballon, ton coéquipier va s’arracher pour le récupérer, alors toi, tu t’arraches aussi, explique Carrasco, En match, tu l’entends aussi et tu as l’impression de jouer à douze contre onze avec lui. Il t’encourage, il t’insulte, il te défend. Tu te dis qu’il va rentrer sur le terrain pour venir tacler. »

« Il n’a pas changé en devenant coach »

Toujours très imagé, le consultant Omar Da Fonseca résume ainsi l’influence de son compatriote argentin sur son groupe : « Il arrive à renforcer les liens sur le terrain de ses joueurs, qui jouent les couilles en groupe”. J’ai l’habitude de dire qu’il use d’une douce violence avec eux. Il exige beaucoup d’eux, mais il donne énormément en retour. »

Avant de devenir l’un des entraîneurs les plus en vue, Diego Simeone a été un milieu de terrain de l’ombre, mais ô combien essentiel des équipes dans lesquelles il a évolué. Il a remporté une Coupe de l’UEFA avec l’Inter Milan et une Serie A avec la Lazio Rome. A l’Atletico, il avait participé au doublé surprise de 1996, Liga et Coupe du Roi. Le Français Benoît Cauet, arrivé la même année que lui à l’Inter en 1997, est impressionné : « Il avait les idées très claires. Déjà comme joueur, il appréciait le jeu direct, un jeu en verticalité. Il n’a pas changé en devenant coach. Le jeu qu’il prône reflète sa personnalité de joueur. »

Compilation Diego Pablo Simeone Fights
Durée : 01:50

Installé à l’Atletico depuis maintenant sept ans, Diego Simeone est-il l’entraîneur d’un seul club ? Sa personnalité exigeante interroge sur sa capacité à prendre les rênes d’un géant européen. On imagine mal Neymar ou Messi accepter ce qu’il réclame à tous ses joueurs. « Je ne veux pas être réducteur, car je n’ai pas la certitude qu’il ne peut pas entraîner un joueur comme Neymar. N’empêche qu’il est vrai que sa tactique a tendance à dénaturer les qualités naturelles des joueurs les plus brillants », analyse prudemment Omar Da Fonseca.

Pour l’ancien Parisien Benoît Cauet, Diego Simeone est « un entraîneur sous-évalué » qui obtient des résultats malgré des moyens moins importants que d’autres et la vente régulière de ses meilleurs joueurs : « il a dû recevoir de nombreuses offres, mais l’Atletico, c’est un vrai choix. Là-bas, on l’adule. Il y a une vraie passion. » Simeone aurait ainsi refusé une offre du PSG pour succéder à Unai Emery la saison prochaine. « On lui proposait le double de son salaire actuel », révélait, lundi, Carla Pereyra, sa compagne, au site Informalia. L’Atletico Madrid risque bien de rester, pendant encore quelques années, l’Atletico de Simeone.