Mort de Naomi Musenga, l’enfer des trois opératrices accusées à tort
Mort de Naomi Musenga, l’enfer des trois opératrices accusées à tort
Par Anne-Sophie Faivre Le Cadre
L’une des trois femmes désignées à la vindicte populaire sur Twitter et menacées de mort dû déménager en urgence dans une autre région.
Trois photographies et un appel à la mort. Dans un message posté jeudi 10 mai, un utilisateur du réseau social Twitter divulgue les coordonnées de Céline F., une personne présentée comme étant l’opératrice du SAMU ayant répondu avec dédain à Naomi Musenga, quelques heures avant qu’elle ne meure. Nom, prénom, adresse, téléphone : aucune information personnelle n’est épargnée. Trois clichés accompagnent le tweet : l’un d’entre eux est une photo de famille souriante montrant la jeune femme entourée de son mari et de ses deux enfants en bas âge. Aucun de leurs visages n’est flouté. « N’hésitez pas à la contacter pour lui souhaiter de mourir très vite », conclut le message.
Ce message livre à la vindicte des réseaux sociaux une jeune femme qui n’est pas l’opératrice s’étant moquée de Naomi Musenga. Il constitue, dans tous les cas, une incitation à la haine, condamnée par la loi. En arrêt maladie le jour du drame, Céline F. n’était pas même présente dans les locaux du SAMU.
Sur le réseau, les insultes s’enchaînent et se comptent par milliers. Le compte Twitter ayant diffusé la fausse information est resté actif jusqu’à dimanche soir — soit quatre jours après la publication du message. Une éternité qui laisse aux noms et aux photos le temps d’être partagées par centaines, et vues par millions. A l’agitation virtuelle des réseaux sociaux succèdent des menaces bien réelles pour la victime et qui vont au-delà du choc émotionnel, déjà violent. D’après une source de la gendarmerie locale suivant de près le dossier, Céline F. n’a pas pu rentrer chez elle le soir de la publication du tweet car « deux individus menaçants étaient postés à la porte de son domicile ».
« Depuis cette histoire, je vis dans le flou »
Depuis, elle a dû déménager en urgence dans une autre région ; menacés, ses deux enfants ont été contraints à la déscolarisation. « Ils n’iront pas à l’école avant septembre », soupire leur mère. La jeune femme, traumatisée par le cataclysme, a décidé de ne plus jamais exercer la profession qui fut la sienne pendant cinq ans. « On fait du quarante appels de l’heure, et quand on arrive à faire deux pauses pipi dans la journée, on est contents. On ne peut plus travailler dans ces conditions. Il y a eu un drame et c’est dommage qu’on doive en arriver là pour être entendus. » Que fera-t-elle, alors, quand son congé pour accident professionnel prendra fin et que le flot des insultes se sera tari ? « Je ne sais pas. Depuis cette histoire, je vis dans le flou. »
Peu après avoir dévoilé l’identité de Céline F., ce même utilisateur de Twitter a diffusé l’identité d’une autre opératrice du SAMU, Sylvie L. Au téléphone, la voix de cette femme — qui n’est pas non plus celle qui a reçu l’appel de Naomi Musenga — est pleine de larmes, s’arrête, se brise.
« Je dors deux heures par nuit, je me réveille en pleurs, je suis au bout du rouleau. J’ai 57 ans, mon mari ne veut pas que je sorte seule — il a peur, lui aussi. Je ne sais pas comment je tiendrai le coup. On ne peut pas sortir indemne de ces calomnies. »
Pourtant, à la différence de Céline F., Sylvie L. n’a pas cessé de travailler : « Continuer ce boulot, c’est la seule chose qui me permette de tenir et de ne pas m’effondrer. »
« On me souhaite de mourir carbonisée dans ma voiture »
Les photos qui accompagnent le tweet dénonçant Sylvie L. sont celles d’une troisième opératrice du SAMU, Emilie L. Elle non plus n’était pas là le jour du drame. Elle non plus n’a rien à voir avec le drame de Naomi Musenga. Elle n’a rien fait, et des milliers de messages, sur Internet, l’accablent. « On me souhaite de mourir carbonisée dans ma voiture, d’être séquestrée et battue à mort, de crever comme un animal », égrène-t-elle. « On me traite de fasciste, on me dit que la haine se lit sur mon visage. » Depuis la publication de ses photos, Emilie L. ne dort plus et vit dans la peur. « J’ai dû prendre des médicaments, je n’avais plus le choix, souffle-t-elle, je suis terrifiée. Je n’ose même plus faire les courses. »
Dimanche 13 mai, alors qu’elle était au restaurant avec son compagnon et sa petite fille de 5 ans, des clients ont sorti leur téléphone portable et l’ont montrée du doigt. Prisonnière en sa propre maison, elle ne sort plus. Le déferlement a eu raison de son amour du métier. « Je n’ai plus envie d’exercer ce boulot, que j’aime tant. J’ai toujours bataillé pour être une fille droite, juste, indépendante, serviable. Tout ça pour être écrasée comme une merde. Tout ça pour une faute que je n’ai pas commise. »
Emilie L., Sylvie L. et Céline F. ont porté plainte auprès de la gendarmerie ; l’auteur des tweets reste pour l’heure non identifié.