Des camions près de Tours, en mars. / GUILLAUME SOUVANT / AFP

Contrairement aux voitures, les millions de camions qui sillonnent les routes d’Europe ne sont soumis à aucun contrôle de leurs émissions de dioxyde de carbone. Bruxelles s’apprête à corriger enfin cette anomalie : la Commission européenne doit présenter, jeudi 17 mai, une proposition législative qui vise pour la première fois à surveiller les émissions de CO2 et la consommation de carburant des poids lourds. Elle comble ainsi son retard sur les Etats-Unis, la Chine ou le Japon.

Cette norme devrait s’appliquer à partir de 2019 non seulement aux nouveaux camions mais aussi aux autocars. Son objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre du trafic routier, dont les camions sont responsables pour un quart. Selon les dernières données de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), celles-ci ont augmenté de 20 % entre 1990 et 2015, et la contribution des poids lourds continuera de croître de 10 % entre 2010 et 2030 sans réglementation.

Pour respecter l’accord de Paris, l’Union européenne compte réduire ses émissions de CO2 d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. Or, elles sont reparties à la hausse en 2017 (+ 1,8 % par rapport à 2016).

Bruxelles devrait proposer de réduire les émissions de CO2 des poids lourds de l’ordre de 30 % à l’horizon 2030 et de 15 % d’ici à 2025. Un effort deux fois supérieur à ce que préconise l’Association des constructeurs européens d’automobiles (16 % d’ici à 2030 et 7 % en 2025 sur la base des émissions de 2019) mais bien inférieur à ce que demandent par exemple les eurodéputés écologistes : 45 % d’ici à 2030 et 100 % en 2050.

Bruxelles dit avoir développé un logiciel de simulation capable de mesurer les émissions de CO2 et la consommation de carburant des camions. Ce sont les constructeurs eux-mêmes qui devront appliquer cet « outil de calcul de la consommation d’énergie du véhicule » (Vecto) à leurs nouveaux modèles afin qu’ils obtiennent leur certification. Les données seront transmises à la Commission européenne. Centralisées par l’AEE, ces informations pourront être consultées par les autorités publiques, promet Bruxelles, dans un exercice de « transparence ».

Une occasion manquée

Echaudés par le « dieselgate » et la révélation au grand jour de la fraude des constructeurs automobiles sur les émissions d’oxydes d’azote, des eurodéputés s’interrogent sur la fiabilité de ces données. La commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen demande à Bruxelles de ne pas se contenter d’un logiciel de simulation et de mettre au point rapidement un essai de contrôle sur route, en conditions de conduite réelle, confié à un organisme indépendant.

Les ONG avaient déjà déploré l’absence d’un tel protocole lors que la Commission avait annoncé, en novembre 2017, son objectif de réduire de 30 % les émissions de C02 des voitures d’ici à 2030. Un objectif qualifié de « cadeau au lobby automobile » par les mouvements écologistes.

La proposition de la Commission devra maintenant être approuvée par les Etats membres et le Parlement européen. Elle est jugée « très décevante » par Karima Delli, la présidente de la commission transport du Parlement : « La Commission passe à côté d’une occasion en or pour promouvoir la vente de camions à basses émissions, et laisse le champ libre à des Etats généralement peu ambitieux sur la question pour maintenir le statu quo. »

Le rapporteur de la commission environnement du Parlement, Damiano Zoffoli, réclame aussi « l’instauration d’une amende administrative dissuasive » pour éviter la fraude.

Amende record

En juillet 2016, la Commission avait infligé une amende record de 2,93 milliards d’euros au « cartel des camions ». Entre 1997 et 2011, les principaux constructeurs (MAN, Daimler, Volvo-Renault, Iveco, DAF, Scania) s’étaient entendus pour fixer les prix de vente de leurs camions, retarder l’introduction des nouvelles technologies antipollution et en faire supporter le coût par leurs clients. Aujourd’hui, un peu partout en Europe, des transporteurs ou des grandes entreprises comme la Deutsche Bahn, Veolia ou Suez assignent les constructeurs devant les tribunaux pour obtenir des dommages et intérêts.

La proposition législative européenne ne répond pas seulement à une ambition écologique. L’enjeu économique est également considérable. Les dépenses en carburant représentent en moyenne 30 % du budget des transporteurs routiers. Aussi, il y a un mois, 36 grands groupes et transporteurs dont Ikea, Unilever, Carrefour, Nestlé ou Geodis ont écrit à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, pour lui demander de fixer un objectif de réduction de 24 % d’ici à 2025. Ils ont fait leur calcul : une telle baisse permettrait d’économiser 7 700 euros de carburant par camion et par an.