Logo de La Poste. / Charles Platiau / Reuters

La Poste a été condamnée, jeudi 17 mai, par le conseil de prud’hommes de Paris, à verser plus de 126 000 euros à une de ses salariées pour ne pas l’avoir protégée du harcèlement moral et sexuel par son supérieur hiérarchique durant près de quatorze années. Dans cette somme sont inclus des dommages et intérêts pour harcèlement sexuel (30 000 euros) ainsi que pour harcèlement moral (25 000 euros), pour manquement de l’employeur à son obligation de préserver la sécurité du personnel (10 000 euros), et pour licenciement nul (35 000 euros). La jeune femme, qui travaillait sur le site de Coliposte de Val-de-Reuil (Eure) avait en outre demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, qui lui a été accordée, « aux torts de l’employeur ». On ne connaît pas pour le moment les motivations de ce jugement, celui-ci ne sera disponible que dans quelques jours.

En arrêt maladie depuis 2015 pour « dépression réactionnelle par stress au travail », Emmanuelle E., 36 ans, qui a tenté deux fois de se suicider, savoure cette « grosse victoire. La justice me reconnaît enfin en tant que victime. Au travail, on m’avait rabaissée, enlevé ma dignité, le tribunal me l’a rendue ». Dès son embauche, à 19 ans, en 2001, dans ce qui est son premier emploi, cet homme, raconte-t-elle, lui a fait subir des gestes déplacés, des agressions sexuelles et deux tentatives de viol. Tétanisée, sans soutien de ses collègues, craignant de perdre son emploi, elle ne révélera sa situation qu’en mars 2015 au syndicat SUD-PTT qui alerte la direction.

« La Poste traite le sujet du harcèlement sexuel avec la plus grande attention, souligne l’entreprise. La question de l’égalité professionnelle et, en particulier, celle de la prévention des violences faites aux femmes constitue une priorité pour La Poste. Lorsqu’une personne se plaint, ou qu’elle a connaissance de faits, La Poste ouvre une enquête interne. C’est ce qui a été fait pour [cette salariée] dès que La Poste a été informée de sa situation (…). A l’issue de ce protocole, la personne mise en cause a été immédiatement suspendue et une procédure disciplinaire a été engagée. » Procédure qui n’a pas abouti, l’intéressé ayant été autorisé à prendre sa retraite en novembre 2017, avant la tenue du conseil de discipline.

« Des affaires de cette sorte sont vite étouffées »

La Poste, qui avait, lors de l’audience le 9 mars 2018, opéré une volte-face de dernière minute dans son argumentation, en reconnaissant finalement les faits tout en estimant qu’ils étaient prescrits, indique qu’elle « ne commente pas une décision de justice ». « L’entreprise a reconnu que ma cliente a vécu un calvaire pendant des années, estime Maude Beckers, l’avocate d’Emmanuelle E.. J’ose espérer qu’elle ne va pas lui faire vivre à nouveau un calvaire en faisant appel. Elle doit tirer les conclusions de ce jugement et la protéger. » Ce jugement « va enfin permettre à Emmanuelle de se reconstruire, estime le syndicat SUD-PTT. Pour cela, il est nécessaire que La Poste ne fasse pas appel (…) .M. Desjacques, le nouveau DRH, chantre du management bienveillant, est maintenant devant ses responsabilités. S’il veut conserver de la crédibilité, il doit siffler la fin de ce dossier et se conformer au présent jugement. »

Demandé par Emmanuelle E., l’affichage de cette décision est ordonné par le conseil de prud’hommes « dans les entités de La Poste ». « Des affaires de cette sorte sont vite étouffées, déplore-t-elle. Peut-être que ce jugement aidera d’autres victimes » à parler.

Autre bonne nouvelle pour la jeune femme : ce jeudi 18 mai, la police la convoque au sujet de sa plainte au pénal pour harcèlement sexuel contre son agresseur, déposée en 2016, pour la période échappant à la prescription. « J’espère que La Poste me rejoindra sur cette plainte, souligne Emmanuelle E.. Elle a une chance de se racheter, qu’elle la saisisse. »

Son avenir à elle ? « Je dois d’abord faire le deuil de cette entreprise. » Ensuite, elle voudrait se reconvertir « dans le droit ou les ressources humaines pour lutter contre le harcèlement sexuel ».