© FUJITA

A l’instar des anglicismes « nerd », « no-life » ou « geek », l’expression japonaise « otaku » désigne des personnes passionnées (omnubilées diront certains) par des œuvres de fiction et de pop culture et qui passent le plus clair de leur temps chez elles. Souvent représentés dans l’imaginaire comme des asociaux pros de l’informatique et incapables de parler d’autre chose que de jeu vidéo ou de BD, les geeks ont fini par se tailler eux-mêmes une place de choix dans les séries et les films, à tel point que certains nerds des expressions langagières parviennent à saisir la nuance entre les trois labels.

En même temps que ces expressions et leurs représentants gagnaient en popularité, le terme « otaku », lui, conservait quelque connotation négative. En Occident, où certains fans de mangas, animes et autres œuvres venues du Japon se proclament « otaku » pour se distinguer des fans de pop culture anglo-saxonne, d’autres préfèrent bannir l’expression. Parce que les personnages otaku restent en grande majorité dépeints péjorativement dans les mangas où ils sont parfois représentés comme des parasites ou des inadaptés sociaux. Pourtant, « le phénomène otaku ne relève plus aujourd’hui de la marginalité », constatait-on déjà il y a dix ans dans les colonnes du Monde.

« Otaku otaku ». / © FUJITA

Tandis qu’il est souvent cantonné à un rôle de figurant masculin, la dessinatrice Fujita lui rend au contraire hommage dans son manga, plébiscité par sa communauté en ligne avant d’être publié au Japon en 2015 par l’éditeur Ichijinsha. Cette mauvaise image de l’otaku est d’ailleurs au centre de l’histoire. Narumi est une fan de mangas mettant en scène des histoires d’amour entre hommes, et Hirotaka est passionné de jeux vidéo. Amis d’enfance, ils se retrouvent par hasard, à 26 ans, à travailler dans la même entreprise. Si Hirotaka se fiche de l’avis des autres, Narumi tait sa passion pour ne pas paraître bizarre et ne pas faire fuir ses prétendants. Aux côtés de quelques collègues et confidents, les deux amis vont nouer une relation sentimentale inopinée laissant également les lecteurs s’attacher peu à peu aux personnages.

« Otaku otaku ». / © FUJITA

Découpé en saynètes pouvant parfois un peu désorienter le lecteur, ce manga est à la fois une BD sociétale réussie et un concentré de références de pop culture japonaise allant d’Evangelion à Pokémon. A travers une traduction universelle et des notes explicatives, l’éditeur français Kana a également pris soin de ne pas en faire un ouvrage pour initiés. Les dialogues entre femmes et hommes y sont sincères, réalistes et décomplexés, chose encore assez rare dans les mangas sentimentaux. Jeunes actifs, les héros oscillent entre une vie de bureau banale et une vie privée rythmée par les sorties dans les bars et les conventions consacrées à leurs passions. En ne chosifiant aucun des personnages, la mangaka Fujita réussit également à adresser sa série à un public masculin comme féminin.

Otaku otaku, de Fujita, tome 1 sorti le 20 avril, éditions Kana, 128 pages, 5,95 euros.