En Syrie, la bataille de Yarmouk s’éternise dans le sud de Damas
En Syrie, la bataille de Yarmouk s’éternise dans le sud de Damas
Par Madjid Zerrouky
Un millier de djihadistes de l’EI retranchés dans l’ancien camp palestinien résistent à l’offensive du régime syrien depuis le 19 avril.
Camp de Yarmouk, dans le sud de Damas, le 28 avril 2018. / OMAR SANADIKI / REUTERS
La roquette a frappé dans la soirée du mercredi 16 mai. Par chance, l’appartement touché, au dernier étage d’un immeuble du quartier d’Al-Salhieh, dans le nord de Damas, était vide. Quelques heures plus tôt, c’est le quartier d’Al-Midan, à cinq kilomètres de là, qui a été visé à deux reprises par quatre obus de mortier.
Le 11 mai, un passant y a été tué et plusieurs autres blessés dans des circonstances similaires. Que visaient les artilleurs qui ont ciblé Al-Salhieh ? « Je ne sais pas. La mosquée, le magasin de meubles, le vendeur de fleurs ? Demandez-leur… », réagit avec colère un habitant de la capitale syrienne joint par messagerie.
Les auteurs de ces tirs erratiques sont des membres de l’organisation Etat islamique (EI), assiégés dans leur réduit de Yarmouk, un camp palestinien du sud de Damas. Ils ne semblent plus avoir d’autre but que de signifier aux habitants de la capitale qu’ils existent encore. Ces derniers savent parfaitement ce qui se joue de nouveau dans le dernier quartier de la capitale échappant encore au contrôle des forces gouvernementales.
« Souffrance indescriptible »
Enveloppé dans un nuage de fumée, le sud de Damas vit au rythme des explosions depuis le 19 avril, date du début de l’offensive du régime contre la zone tenue par les djihadistes, pilonnée jour et nuit par l’aviation et l’artillerie. Une victoire lui permettra de contrôler l’intégralité de la capitale et de ses environs, pour la première fois depuis 2012.
Au moins 440 djihadistes, combattants gouvernementaux et membres de factions palestiniennes prorégime auraient déjà péri dans ces combats, selon un bilan établi par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Après avoir pris le contrôle du quartier de Hajar Al-Aswad et de plusieurs avenues de Yarmouk avec l’aide de l’aviation et d’intenses tirs de barrages d’artillerie, l’armée syrienne et ses alliés avancent péniblement face à un millier de djihadistes qui ont eu trois ans pour se préparer à la bataille. Plusieurs centaines de civils seraient encore pris au piège dans une zone d’à peine trois kilomètres carrés réduite à l’état de ruine, au vu des images filmées par les deux camps.
L’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) s’était alarmée le 27 avril des « conséquences catastrophiques de l’intensification de la violence à Yarmouk et dans les environs (…). Yarmouk et ses habitants ont enduré une douleur et une souffrance indescriptibles au cours des années de conflit. »
Avant cette dernière offensive, quelque 6 000 réfugiés palestiniens vivaient encore à Yarmouk et 6 000 dans les alentours, selon l’UNRWA. Sept mille personnes sont parvenues à quitter l’enclave au début de l’offensive. Certains en franchissant le point de passage de Beit Sahem, qui séparait le camp palestinien des territoires adjacents encore contrôlés par d’autres groupes rebelles. Ces derniers ont quitté le secteur le 10 mai en vertu d’un accord d’évacuation, le dernier d’une série d’initiatives similaires imposées par le régime dans les environs de Damas pour consolider son pouvoir sur la capitale.
Etat de siège
Depuis, l’EI, qui a refusé jusqu’ici toute négociation en promettant de « couper les têtes » de ses adversaires, est le dernier groupe armé qui continue de menacer le régime. Mais « si le régime continue de progresser sur le terrain, l’EI serait acculé et devra aussi négocier un accord d’évacuation », estime pourtant Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’OSDH.
Situé à sept kilomètres du centre de Damas, Yarmouk est initialement un camp de réfugiés créé par l’ONU dans les années 1950 pour accueillir les Palestiniens chassés de leurs terres en 1948. Avant 2011 et le début de la révolte contre Bachar Al-Assad, il comptait près de 200 000 habitants, loin d’être uniquement palestiniens.
Déjà en partie encerclé depuis mi-2013 quand le régime a imposé un état de siège sur tous les quartiers du sud de la capitale, Yarmouk avait été en grande partie conquis par l’EI en avril 2015 à partir du quartier voisin de Hajar Al-Aswad. Entre 2013 et 2015, période à laquelle le siège était le plus hermétique, 170 personnes y étaient mortes de faim, selon l’ONG palestinienne Jafra. A cette détresse sont venues s’ajouter les exactions des djihadistes. « Dans le lexique de l’inhumanité de l’homme envers son frère s’ajoute un nouveau terme : Yarmouk », a ainsi déclaré Chris Gunness, le porte-parole de l’UNRWA.