Coupe du monde : en Belgique, « l’affaire Ninja » Nainggolan plombe le moral des Diables rouges
Coupe du monde : en Belgique, « l’affaire Ninja » Nainggolan plombe le moral des Diables rouges
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
Les supporteurs de la sélection belge reprochent à l’entraîneur Roberto Martinez de n’avoir pas retenu Radja Nainggolan, joueur populaire mais tombé en disgrâce auprès de l’Espagnol.
Radja Nainggolan n’a pas été retenu par le sélectionneur Roberto Martinez en vue de la Coupe du monde. / BRUNO FAHY / AFP
Roberto Martinez, le sélectionneur espagnol de l’équipe nationale belge, a créé une gigantesque polémique dans son pays d’adoption, lundi 21 mai, en dévoilant son choix de 28 joueurs – dont 23 seront finalement retenus – en vue de la prochaine Coupe du monde en Russie. C’est l’absence dans sa liste de Radja Nainggolan, 30 ans, milieu de terrain de l’AS Rome et considéré comme l’un des meilleurs Diables rouges depuis plusieurs années, qui enflamme les esprits depuis vingt-quatre heures.
A peine la liste dévoilée, des supporteurs se sont précipités pour protester devant le centre d’entraînement de l’équipe nationale, à Tubize, ou devant le siège de la Fédération de football, à Bruxelles. Des dizaines de milliers de messages ont été postés sur Twitter et un appel à manifester, mardi, devant le siège de l’instance avait rassemblé plus de 20 000 signatures. Dépassés par le succès de cet appel, les organisateurs ont précisé par la suite qu’il s’agissait d’une blague potache.
La non-sélection de celui qui a été baptisé « Ninja », célèbre pour ses nombreux tatouages et sa crête de cheveux couleur fluo, n’a pas surpris tout le monde : sa mésentente avec le sélectionneur était connue. Les coups de gueule de Nainggolan ou des photos de lui, cigarette à la bouche et verre à la main, étaient peu appréciés de l’austère Martinez, entré souvent en conflit avec ce joueur turbulent.
Chouchou du public
Ce sont toutefois les explications confuses de l’Espagnol qui ont mis le feu aux poudres. Présentant le milieu comme « un joueur exceptionnel », il a affirmé qu’il ne voulait pas le réduire à « un rôle mineur ». Or, « Ninja » ne pouvait, selon lui, s’insérer dans le schéma résolument offensif qui devrait être celui de son équipe en Russie, où elle sera confrontée, en phase de poules, à l’Angleterre, la Tunisie et le Panama.
« Un authentique scandale ! », fulmine Philippe Albert, ancien défenseur de l’équipe nationale, devenu l’un des commentateurs les plus respectés du pays. Selon lui, Nainggolan est « l’un des meilleurs médians au monde » et c’est bien un problème relationnel qui est l’origine de sa mise à l’écart.
Si Jan Ceulemans, ancien avant-centre sélectionné plus d’une centaine de fois, dit, lui aussi, qu’il aurait misé sur la sélection du Romain mais qu’il convient de respecter le choix du coach, les commentateurs sont presque unanimes pour s’en prendre audit choix. « Gâchis et mort absurde d’un gladiateur romain hors de l’arène » titre Le Soir. « La raison tactique ? On dit non ! », écrit La Dernière Heure-Les Sports, qui estime que la mise à l’écart du joueur « va créer une fissure entre le public et le sélectionneur », que ce dernier ne pourra colmater qu’en réussissant « une grande Coupe du monde ». « Le chouchou du public écarté par Martinez », analyse La Libre Belgique, faisant référence, elle aussi, à ce qui explique la mobilisation hors norme du public : son affection pour un joueur atypique.
D’origine indonésienne, exilé très tôt en Italie (Piacenza et Cagliari avant Rome), « Ninja » a toujours entretenu un rapport complexe avec son pays d’adoption. Son implication, la qualité de son jeu, sa générosité ont toutefois fait de lui l’un des chouchous des supporteurs tant francophones que flamands – ce qui est, en soi, une performance. L’arrivée à la tête de l’équipe nationale de Martinez, entraîneur sans références internationales, a toutefois modifié le statut de Nainggolan, même si tout le monde saluait le rythme que celui-ci imprimait à l’entre-jeu belge, souvent réputé trop lent.
Le sélectionneur Roberto Martinez a évoqué des raisons techniques pour justifier la mise à l’écart de Radja Nainggolan. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS
Mis au ban en 2016, rappelé en 2017 mais demeuré réserviste, le joueur semblait condamné, même si l’entraîneur a beaucoup louvoyé par crainte de la réaction du public et des commentateurs. Lundi, les propos de Martinez ont été d’autant plus aisément critiqués que sa sélection reprend des joueurs relégués sur le banc dans leur club, en méforme, ou exilés dans des championnats marginaux. Si, dans ce milieu de terrain, Kevin De Bruyne (Manchester City), Dries Mertens (Naples) ou Thomas Meunier (PSG) semblent incontestables, Jordan Lukaku (Lazio Rome), Yannick Carrasco (Dalian Yifang, Chine) ou Youri Tielemans (AS Monaco) ne peuvent revendiquer une place de titulaire chez un récent demi-finaliste de Ligue des champions, comme c’est le cas de Nainggolan. Lequel était d’ailleurs jugé incontournable par beaucoup des intéressés…
Retraite internationale
« Avec beaucoup de mal au cœur, je mets un terme à ma carrière internationale, a commenté le joueur de la Roma. Etre vrai peut être embêtant pour certains », a-t-il expliqué sur Instagram, rejetant les explications tactiques de Martinez.
La tempête provoquée par la décision de ce dernier apparaît, en tout cas, comme néfaste pour une équipe animée de hautes ambitions, qui s’imagine déjà confrontée soit au Brésil soit à l’Allemagne en quarts de finale. Et qui s’estime capable de vaincre de tels rivaux. Elle avait déjà des espoirs semblables en 2016, jusqu’à son élimination en quarts par le modeste pays de Galles. A l’époque, c’est… Radja Nainggolan qui avait ouvert la marque avant que le reste de l’équipe ne s’effondre et n’encaisse trois buts.
Pour Roberto Martinez, dont le contrat à un million d’euros par an vient d’être prolongé, le défi s’annonçait déjà périlleux, compte tenu des fortes attentes du public belge. Promis évidemment à être le premier fusible si son équipe ne répondait pas aux attentes, il devra désormais vaincre aussi le péril de l’impopularité, avant même le démarrage de la compétition.