La formation du gouvernement catalan bloquée, la tutelle maintenue
La formation du gouvernement catalan bloquée, la tutelle maintenue
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Le nouveau président de la région, Quim Torra, renonce à ce stade à nommer les membres de son exécutif, Madrid ayant bloqué la désignation des élus en détention préventive ou en fuite.
Le nouveau président catalan, Quim Torra, à Barcelone, le 23 mai. / MANU FERNANDEZ/AP
Confronté au blocage du gouvernement espagnol, qui a refusé de valider la nomination de ses « ministres », le nouveau président indépendantiste de la Catalogne, Quim Torra, a dû renoncer, provisoirement, à former un gouvernement régional. En conséquence, l’article 155 de la Constitution espagnole appliqué depuis le 27 octobre 2017, pour placer sous tutelle la région rebelle, reste pour le moment en vigueur.
Après avoir jusqu’au bout laissé planer le doute quant à une possible désobéissance qui aurait abouti à un nouvel affrontement politique avec Madrid, M. Torra a annoncé, mercredi 23 mai, la suspension de la prise de fonctions des membres du gouvernement régional qu’il avait désignés samedi 19 mai. Le temps d’obtenir le « rapport demandé à la commission de conseil juridique » du gouvernement catalan et de lancer « des mesures légales face au blocage institutionnel provoqué par l’Etat ».
Le gouvernement espagnol, qui contrôle la région depuis sa déclaration unilatérale d’indépendance en octobre 2017, refuse en effet depuis samedi de publier au Bulletin officiel de la Généralité de Catalogne la nomination des conseillers catalans. Celle-ci n’a donc aucune valeur légale.
Pour l’exécutif espagnol, « une nouvelle provocation »
L’exécutif du premier Mariano Rajoy, en accord avec le Parti socialiste ouvrier espagnol et la formation libérale et unioniste Ciudadanos, reproche à Quim Torra de vouloir « maintenir une stratégie de confrontation avec l’Etat et la majorité de la société catalane » en incluant dans la liste deux dirigeants indépendantistes en prison préventive, Josep Rull et Jordi Turull, et deux autres « fugitifs » en Belgique, Toni Comin et Lluis Puig. Tous les quatre étaient conseillers du gouvernement de Carles Puigdemont avant d’être destitués par Madrid et sont actuellement poursuivis par la justice espagnole pour « rébellion ».
Le Palais de La Moncloa, siège de l’exécutif espagnol, estime que le choix des conseillers est « une nouvelle provocation » qui « démontre que la volonté de dialogue exprimée dans la lettre que [M. Torra] a remis au président du gouvernement n’est pas sincère ». Pour le gouvernement de Mariano Rajoy, qui s’est engagé à lever l’article 155 dès lors qu’un gouvernement « effectif » prendra possession de ses fonctions en Catalogne, « le président de la Généralité a perdu l’opportunité de démontrer sa volonté de rétablir la normalité ».
En temporisant, le président catalan, désigné par Carles Puigdemont pour lui succéder provisoirement, évite de pousser les élus désignés à commettre un possible délit d’« usurpation de fonctions ». « Si le président de la Généralité veut ramener la normalité dans les institutions, il sait ce qui lui reste à faire : respecter les intérêts des Catalans qui ont besoin d’un gouvernement effectif », a insisté mercredi la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria. Cette dernière a rappelé que la veille, le Tribunal suprême s’était prononcé contre la libération provisoire des élus en prison préventive pour prendre leurs fonctions.
« Nous avons besoin dans l’urgence d’un gouvernement »
Eduard Pujol, le porte-parole de la plateforme de Carles Puigdemont, Ensemble pour la Catalogne (JxC), dont est issu Quim Torra, a cependant insisté, mercredi, en conférence de presse, sur l’absence de justification légale pour empêcher la prise de fonctions des élus en prison préventive ou en « exil », dont « les droits politiques sont intacts ». Et il a réaffirmé que leur engagement restait « la restauration du gouvernement destitué ». Une priorité qui ne se heurte pas seulement à l’opposition de Madrid mais aussi à celle de ses partenaires de la Gauche républicaine (ERC), sans lesquels JxC n’a pas la majorité.
Les dirigeants d’ERC, dont le président Oriol Junqueras est en prison préventive depuis six mois, refusent de retarder davantage la levée de la mise sous tutelle et de poursuivre dans la voie de la désobéissance. Ils souhaitent utiliser les institutions pour « augmenter la base indépendantiste » dont ils reconnaissent qu’elle n’est pas assez ample pour mener à bien la sécession de la Catalogne. « Nous avons besoin dans l’urgence d’un gouvernement pour accumuler des forces et donner une réponse aux problèmes des Catalans, qu’ils soient indépendantistes ou pas », a souligné mercredi le député d’ERC Joan Tarda. Ce dernier a rappelé que la priorité était « la restauration des institutions, au-delà des personnes ».
Quim Torra ne semble cependant pas décidé à revenir sur son choix. Le gouvernement espagnol, qui est par ailleurs parvenu mercredi à obtenir le soutien des nationalistes basques à son projet de budget malgré le maintien de l’article 155, veut quant à lui rester ferme. Le blocage pourrait donc durer jusqu’à ce que la justice espagnole ne décide d’interdire d’exercice les députés mis en examen pour rébellion, obligeant alors Quim Torra à les remplacer. Ce qui pourrait survenir dans les prochains jours.