Si le rapprochement entre Deutsche Bank et Commerzbank aboutissait, le nouvel ensemble aurait un bilan de 1 810 milliards d’euros et 38 millions de clients (particuliers et entreprises). / DANIEL ROLAND / AFP

C’est la fin de mois de spéculations et le début d’un possible tournant dans l’histoire bancaire allemande. Dans un communiqué paru dimanche 17 mars, Deutsche Bank (DB) a confirmé être en discussion avec sa rivale Commerzbank en vue d’une éventuelle fusion. « Le directoire de la Deutsche Bank a décidé d’examiner des options stratégiques pour évaluer les opportunités », a déclaré l’établissement, qui souhaite évaluer si cette alliance peut apporter croissance et rentabilité. « Il n’y a aucune garantie que cela aboutisse à une transaction », a-t-il précisé.

Selon la presse allemande, les discussions informelles ont commencé depuis quelques mois entre les patrons des deux groupes bancaires, Christian Sewing et Martin Zielke. En arrière-plan, le ministre des finances, Olaf Scholz, a apparemment fait pression sur les deux hommes pour qu’ils évaluent les options de rapprochement. Inquiet de l’évolution des deux banques, le ministre social-démocrate, épaulé par son secrétaire d’Etat, Jörg Kukies, ancien codirecteur Allemagne de Goldman Sachs, a plusieurs fois répété que le pays manque d’une grande banque à dimension internationale, capable d’accompagner les PME exportatrices à l’étranger.

DB compte 91 000 salariés, Commerzbank, 49 000

Si le rapprochement aboutissait, le nouvel ensemble formerait la troisième banque européenne, derrière BNP Paribas et le Crédit agricole. Elle aurait un bilan de 1 810 milliards d’euros – dont 1 348 milliards apportés par Deutsche Bank – et 38 millions de clients (particuliers et entreprises). DB compte actuellement 91 000 salariés, son produit net bancaire a été de 25,3 milliards d’euros en 2018. Elle a réalisé un petit bénéfice après impôts de 267 millions d’euros en 2018, après trois années de pertes. Commerzbank est nettement plus petite, mais s’est montrée, l’an dernier, plus profitable : elle a réalisé un produit net bancaire de 8,6 milliards d’euros, avec 49 000 salariés, pour un résultat après impôts de 865 milliards d’euros. Une fusion, espèrent ses promoteurs, permettrait d’améliorer la rentabilité des deux établissements en baissant les coûts – de personnel, mais aussi en infrastructures informatiques, devenues un enjeu majeur de compétitivité.

En cas de fusion, 30 000 emplois pourraient disparaître, selon les experts

Mais rien n’est joué. « L’expérience montre qu’il peut y avoir de nombreuses raisons économiques et techniques qui s’opposent à un tel rapprochement », a tempéré Christian Sewing, patron de DB, dans une lettre aux salariés parue dimanche. Un des obstacles est l’ampleur des restructurations qui accompagneraient la fusion : 30 000 emplois pourraient en effet disparaître, estiment les experts. Selon le Handelsblatt, qui cite des sources des milieux financiers, M. Sewing s’est assuré que le ministère des finances ne s’opposerait pas à un tel plan social avant de confirmer les discussions. Les deux banques se donnent apparemment quatre à six semaines pour évaluer les chances d’une fusion.

Le contexte lui-même n’est pas porteur : les analystes ne cachent pas leur scepticisme quant aux chances de succès d’une telle entreprise. Les syndicats sont vent debout. Et certains politiques ont exprimé leur désaccord quant à la formation d’un nouveau géant bancaire qu’il faudrait éventuellement renflouer sur fonds publics en cas de crise. Le député conservateur Eckhardt Rehberg, expert en finance du Parti chrétien-démocrate, a rappelé qu’une fusion ne devait s’opérer que sur des fondements économiques et non sur pression politique.

Une course à la taille à l’origine des difficultés

En interne non plus, les choses n’iront pas de soi. Les deux banques, sises dans trois tours emblématiques de la place de Francfort, ont été fondées en 1870. Depuis, elles cultivent leurs différences et leur rivalité. C’est d’ailleurs la course à la taille qui est à l’origine des difficultés actuelles : Commerzbank a fusionné, en 2009, avec Dresdner Bank, au moment de la crise financière. Elle a dû être sauvée par le contribuable, qui détient encore 15 % de ses actions. Deutsche Bank, longtemps fière de son département d’investissement conquis grâce à des rachats outre-Atlantique, a été lourdement sanctionnée à partir du début des années 2010 pour avoir fermé les yeux sur les turpitudes qui s’y déroulaient. Elle a accumulé les déconvenues judiciaires dans toutes les affaires qui ont secoué le monde bancaire ces dernières années.

Le déclin de ces établissements autrefois emblématiques du « made in Germany » inquiète le ministère des finances, qui redoute une dépendance des entreprises allemandes à des acteurs financiers étrangers, à l’heure où la confiance dans les vertus du libre-échange s’amenuise au niveau international. La finance allemande est très morcelée entre un secteur public, un secteur mutualiste et de nombreuses banques privées régionales, qui se font concurrence localement pour les clients privés et les PME. Conséquence : les marges sont bien plus faibles que dans les autres pays, les enseignes nombreuses, et les possibilités d’investissement dans le numérique sont réduites. Dans le cadre d’une consolidation bancaire européenne, la finance allemande ne pèserait pas lourd.

Pour le ministre des finances, le temps presse : les élections européennes de mai et plusieurs scrutins régionaux prévus au cours de l’année alimentent les discussions actuelles sur une possible rupture anticipée de la coalition au pouvoir à Berlin. Un changement de couleur au ministère des finances en cas de mauvais score pour le Parti social-démocrate pourrait sonner le glas du projet de champion allemand de la finance qu’Olaf Scholz ambitionne.