Tribune. Sur un continent en pleine mutation, où certains pays (Sénégal, Bénin, Ghana, Burkina Faso, Nigeria, Liberia, etc.) connaissent des alternances démocratiques permettant l’engagement de nouvelles générations et la participation active des sociétés civiles au débat politique, nous assistons au Tchad à une tentative de musellement de toute énergie nouvelle. Pis, à une confiscation légale du pouvoir entre les mains d’un seul personnage, opérée à travers l’élaboration d’une Constitution sur mesure et son entérinement par une Assemblée nationale dont le mandat, expiré depuis bientôt trois ans, a été prorogé administrativement. Le peuple, lui, n’a jamais été directement consulté.

Depuis le 4 mai, seul commandant à bord, sans vice-président, sans premier ministre, sans Conseil constitutionnel, sans Cour des comptes, débarrassé de tout garde-fou républicain tout en interdisant aux jeunes de participer aux instances de décision stratégiques du pays, le président du Tchad dirige une nouvelle république taillée par et pour lui. La Cour suprême, aujourd’hui essentiellement composée de membres qu’il a nommés, vient de montrer au monde sa titubation lors de la rocambolesque cérémonie de prestation de serment confessionnel devenu une réalité aux formules confuses dans une république qui se réclame pourtant de la laïcité.

Nous sommes dans la IVe République d’un pays classé 186e sur 188 selon l’indice de développement humain (IDH). Moins de 5 % de la population y a accès à l’eau potable et l’électricité, alors même que nous avons un taux d’ensoleillement parmi les plus élevés au monde et une quantité d’eau souterraine abondante dans tout le territoire. Pourtant le Tchad n’a pas manqué de ressources : celle du pétrole, exploité depuis quinze ans, et celles de l’endettement et des aides extérieures qui ont servi pour l’essentiel à enrichir une minorité dirigeante.

Exclusion de la jeunesse

Le premier gouvernement de cette IVe République recycle pour l’essentiel les mêmes acteurs : des anciens chefs des gouvernements successifs, dont les contre-performance sont décrites dans les classements embarrassants du Tchad dans l’IDH, certains ayant exercé il y a plus de vingt ans et d’autres plus récemment, sous le même président. Comment accorder crédit à un leadership qui, en presque trente ans de pouvoir sans alternance et au gré de plus d’une dizaine de premiers ministres différents et de plusieurs centaines de ministres, n’a pas pu mettre sur pied une équipe à même de transformer durablement la vie des citoyens et qui, pour commencer une nouvelle République, reconduit les mêmes ?

Dans cette IVe République dessinée à la va-vite, l’exclusion de la jeunesse (plus de 60 % de notre population) des instances de décision du pays est aussi évidente qu’aberrante. Le président, qui a pris le pouvoir alors qu’il était âgé de moins de 40 ans, a décidé à travers la nouvelle Constitution de faire passer l’âge minimum pour être candidat à la présidence de 35 à 45 ans, sans mettre de limite supérieure. Tout cela se fait à contre-courant de l’histoire, en parfaite contradiction de la Charte africaine de la jeunesse de l’Union africaine, dont le silence sur ce dossier est plus que surprenant.

Face à ces aberrations, nous devons agir pour l’avenir de notre pays. Agir avec toutes les forces progressistes qui veulent voir s’installer, à tous les échelons, un leadership serviteur, préoccupé d’abord par les conditions de vie des 15 millions de Tchadiens et Tchadiennes, tout en préparant les bases d’un avenir meilleur pour les générations futures. Ces patriotes tournés vers l’avenir existent. Ce sont des Tchadiens aussi bien de l’intérieur du Tchad que de la diaspora, y compris ceux qui ont jusque-là servi avec loyauté la minorité dirigeante et qui reconnaissent en privé la nécessité d’inventer collectivement un meilleur avenir.

Appel à toutes les énergies

L’avenir du Tchad résidera dans son degré de politisation, au sens d’engagement de ses citoyens pour la chose publique. Face à cette situation, nous avons voulu nous engager en politique pour transformer de façon durable la vie économique et sociale des Tchadiens. A travers le mouvement politique Les Transformateurs, il s’agit d’amener le peuple tchadien à se sentir copropriétaire de son pays, tout en étant engagé de façon plus efficace et plus soutenable dans les enjeux d’intérêt copartagé de la sous-région, de l’Afrique et du monde ; enjeux liés notamment aux questions sécuritaires, de sauvegarde de notre planète et de solidarité, nécessaires ponts entre les peuples.

C’est un appel à toutes les énergies du Tchad, pour substituer au Superman voulu dans ce régime présidentiel intégral, un régime de développement intégral grâce à une république transformée, bâtie avec espérance par toutes les forces progressistes de l’intérieur et de la diaspora. Pour cela, nous devons abandonner nos peurs respectives et rompre avec ce manque d’exigence citoyenne qui a laissé se développer des politiques publiques inefficaces et engendré des reculs démocratiques, car notre plus grand défi au Tchad, à l’image de nombreux pays africains, est d’abord un défi de manque de leadership serviteur. Transformons nos pays.

Succès Masra, ancien économiste principal de la Banque africaine de développement (BAD), a démissionné de ce poste le 29 avril, à la veille de l’adoption d’une nouvelle Constitution au Tchad, afin de lancer le mouvement Les Transformateurs.